Notre petite balade apéritive en compagnie de Weber, Borel, Gouges, Thoreau, La Boétie et McLuhan touche maintenant à sa fin, comme on termine un chapitre. Mais le livre, lui, s'ouvre depuis ce jour, idée plantée dans la terre meuble et riche déjà travaillée avec mon ami Benoît Jeantet, ailier de grand débordement épistolaire autant qu'écrivain tranchant en bout de ligne. Notre «Dictionnaire du désir de lire» (Honoré Champion Editeur) remonte à 2011 avec ses cent romans contemporains, bibliothèque idéale toujours d'actualité. Format, concept, articulation des contenus, choix élargi : tout concourait à poursuivre l'aventure. Mais dans un autre champ. Ce serait celui de la pensée.
L'idée a germé il y sept ans, enrichie et soutenue par un éditeur hors du commun, Jean Pruvost, voisin de Palaiseau, guitariste rock, virtuose du baby-foot, «dicopathe», universitaire de renommée mondiale autant qu'érudit enthousiaste. Mais au bout de deux ans de recherches fructueuses, je me suis rendu compte que si le recensement des grands penseurs de l'humanité m'ouvrait de magnifiques perspectives, la rédaction d'un ouvrage d'une telle envergure était trop imposante pour tenir d'aplomb sur mes seules épaules. Qui associer au soutien en profondeur ?
J'en restais là, imaginant une liste de cent noms comme on compose une équipe lorsque, le cachet de la Poste faisant foi, je reçus il y a trois ans un ouvrage sur Michel Crauste (Le testament du Mongol. Editions l'Harmattan) écrit par un philosophe dont j'avais déjà lu quelque chose, en 2012, qui tenait de la filiation ovale (Le rugby expliqué à mon fils. Editions l'Harmattan) Rendez-vous fut pris devant le jardin du Luxembourg, mon point de chute parisien. Après seulement quelques minutes d'échanges, Christophe Schaeffer, séduit par le défi, acceptait de s'embarquer dans cette circumnavigation. Nous voguâmes alors de concert sur une mer d'idées pendant deux ans.
Si les trente-cinq premiers grands penseurs (Aristote, Freud, Platon, Marx, Nietzsche, Socrate, Kant, Confucius, Copernic, Hegel, Descartes, Pascal, Einstein, Epicure, Spinoza, Montaigne, etc) furent d'une évidence confondante, la suite nous plongea dans un bonheur d'échanges afin de couvrir au plus large les activités humaines, entre autres économie, art, droit, écologie, éducation, foi, laïcité, médias, politique, sexualité, sport... Duo charnière (ancien demi de mêlée de Plaisir et ex-ouvreur vagabond), nous avançâmes lentement mais le plus sûrement possible, mesurant et pesant chaque choix avec doute mais aussi avec joie.
Cette quête à deux voix fut l'occasion de belles rencontres (merci à Michel Chiodi et Stéphane Cassier pour leurs pertinentes corrections). Me reste aussi en mémoire ce moment hors du temps, à Toulouse, en compagnie de l'ancien flanker et capitaine du XV de France, Jean Fabre, intrigué par ce projet raisonné et alphabétique, l'ancien président du Stade Toulousain me proposant d'y adjoindre l'Aveyronnais Emile Borel, dont j'imagine que vous ne connaissez pas l'existence, pas plus qu'une très grande majorité des habitants actuels de Sainte-Affrique dont il fut pourtant le maire.
C'est donc vers les Borel de ce dictionnaire que sont Gui d'Arezzo, Hypatie, Mani, Amartya Sen et Joseph Weber que je tourne mes pensées au moment où sort en librairie cette curiosité ; car ils m'ont obligé à creuser au plus profond de moi même, d'aller là où je ne pensais pas me rendre puisque j'en ignorais l'existence. Et je gage que mon ami Christophe a lui aussi effectué pour d'autres penseurs ce cheminement personnel.
Dans sa subtile préface, puisant dans l'étymologie, Jean Pruvost rattache «peser», «penser» et «panser» - c'est-à-dire réfléchir, apprécier, soigner - au latin pensare. Il écrit : «La lecture in extenso ou bien la consultation au gré de nos souvenirs du Dictionnaire des penseurs a cette double vertu de nous mettre en éveil tout en pansant, ça et là, quelques déchirures personnelles grâce à la découverte d'autres manières de penser qui nous éclairent et nous aident.» Je n'imagine pas viatique à la fois plus universel et plus intime.
Dictionnaire des penseurs. Christophe Schaeffer et Richard Escot. Honoré Champion Editeur. 22 euros. 351 pages. Sortie le 14 juin 2018.
25 commentaires:
J'irai donc vers elles et je les recevrez avec un supplément d'âme. Un livre est toujours un bonheur quand on a l'amitié de ses auteurs. A mon âge encore aimer penser, oui vraiment pour ne pas panser, rester vigilant entre passé et futur. Présent dans l'événement, équilibre instable mais amusant juste au moment où votre livre prend sa liberté pour venir se mesurer aux réalités du siècle qui apporte tant de changements.
Votre ouvrage nous permet de mesurer le temps et le mûrissement des idées. Ce que l'on sait maintenant de toutes ces pensées est comme un aboutissement juste au moment où commence a émerger la théorie de l'unification qui va nous jeter définitivement dans d'autres dimensions.
Merci à vous deux pour cet exercice vertigineux.
Merci Michel.
Et maintenant j'attends le 1er commentaire d'un lecteur...
Ritchie, please! Laisse nous le temps de le toucher, en cueillir quelques bribes au hasard pour choisir l’humeur, la lumière, Giant Steps, Ornithology ou In a silent way (dsl, suis pas moderne) pour s’y filer avec l’apprehension de ne pas être assez au niveau ... un peu comme avant un gros match quand on venait d’acceder à la série d’au-dessus...
Alors patiente un peu Ritchie (et Christophe)!
On attaque à la sortie du tunnel... Mais je saisis ton approche.
Amazon est un chic type : j'ai l'objet entre les mains . D'abord rassurer les copains, n'ayez pas peur - un peu pontifical mais bon ... - donc n'ayez pas peur : c'est tout à fait abordable . Il faut bien dire qu'au départ si je me souviens bien il était question d'un "dictionnaire des philosophes" et ça fichait un peu la trouille . Devenu "dictionnaire des penseurs", l'oeuvre se présente bien : beau bébé à la reliure élégante et d'une souplesse !! Oui, il y a aussi des philosophes "classiques" mais ce sont les penseurs qu'on n'attend pas forcément ici qui ont retenu mon attention : le danseur chorégraphe Merce Cunningham, le peintre Kandinski, l'architecte Le Corbusier ,le docteur Schweitzer, l'éthologue Konrad Lorenz, l'artiste-ingénieur Leonard de Vinci pour commencer .J'ajoute tous les cosmologistes et associés : l'admirable Giordano Bruno ( rien que pour sa présence ici merci !), Max Planck ( rien compris au temps de Planck mais une phrase comme ".. et l'univers entre en scène dans sa forme expansive et exponentielle" vaut bien le détour ) Nicolas Copernic ... C'est bien d'avoir parlé de La Boétie et de Montaigne juste séparés par le classement alphabétique . Et mon cher David Hume totalement en phase avec tous ces univers connectés .
C'est un livre de conversations au sens qu'en l'ouvrant à n'importe quelle page on peut entendre les personnalités s'interpeller d'un siècle à l'autre, tant la pensée, les pensées résonnent et raisonnent . C'est aussi un livre d'ouverture de toutes les portes entre les arts, les sciences et les philosophies . Et puis... il y a Gaston Bachelard quoi !
J'en suis au feuilletage aléatoire et gourmand, pour une lecture plus raisonnable ( hum !) et raisonnée (hum! hum !) attendez juillet ! Amitiés .
Sylvie, un seul mot. Merci. "Abordable". C'est effectivement le mot. Mettre la pensée à disposition, à portée. La décrypter. et trouver des mots simples pour que l'essentiel s'exprime.
Giordano Bruno, c'est mon chouchou.
La biz
Pontifical. j'aime ce mot. Celui qui construit des ponts.
Hume : magnifique statue sur la rue haute d'Edimbourg. Son histoire, rien que son histoire, vaut le détour.
"C'est un livre de conversations au sens qu'en l'ouvrant à n'importe quelle page on peut entendre les personnalités s'interpeller d'un siècle à l'autre, tant la pensée, les pensées résonnent et raisonnent."
Pour l'instant, c'est la plus puissante critique de ce livre. Merci à toi, Sylvie.
En tout cas tu es la première...
Et je ne serai pas le second : arrivé trop tard chez le libraire ! M’apprendra à préférer les boutiquiers chenus aux amazon(es) véloces ...
À lundi soir!
Juste une précision Ritchie , par "pontifical" j'entendais "papal" en raison de l'allusion au discours de Jean Paul II en 1978 " N'ayez pas peur " .. mais effectivement le "pontifex" est bien celui qui fait le pont entre deux mondes généralement opposés ... un gobetween en quelque sorte !
L’art de retomber sur tes pattes, Gobe!
Hats off, Gents !
Bien enthousiasmant que d'avoir ces retours après deux années à oeuvrer dans la caverne de Platon (c'est sans doute aussi un bar quelque part, forcément....) Il existe beaucoup de dictionnaires, mais celui-ci décloisonne, ouvre le nous dans la volonté de proposer un jeu au large. Avec Richard, on s'est demandé lequel des penseurs comptait le plus pour l'un et l'autre ? Pour moi, c'est clair : Chogyam Trungpa (je vous laisse le découvrir). Et preuve en est que ce dictionnaire apporte sa pierre angulaire dans la caverne : c'est la première fois que ce grand penseur de la modernité est référencé dans un ouvrage de ce type. Certains en rêvaient, on l'a fait ! Mais point de gloriole, c'est sans doute grâce au rugby dans sa volonté irréfragable de transmission, où le ballon passe de mains en mains comme les idées.
Je crois que si vous avez passé, à deux, deux ans de travail sur ce projet, il faut laisser un peu plus de deux jours à vos lecteurs pour revenir vers vous;
Dans deux heures, je fais enfin mettre la main sur l’un (ou l’autre) de mes deux exemplaires.
Excitant pas de deux pour quelqu’un qui n’a jamais su effectuer plus d’un pas de danse ...
Effectivement, de beaux retours. Multiples. Sur d'autres supports aussi, comme ce courrier manuscrit reçu chez notre éditeur émanant de Patrick Poivre d'Arvor...
En ce qui me concerne, je brûlais d'intégrer Giordano Bruno aux centurions de la pensée. A l'origine de tellement.
Hier soir, nous avons, mon ami Michel Chiodi, son fils Nicolas, son épouse Isabelle et moi, effectué une lecture impromptue du Dico. Kant pour Michel, Derrida et Trungpa pour Nicolas, Bruno pour moi, Lacan pour Isabelle. Autour d'un chouette whisky.
Joli moment.
Je pense qu'ils ont été conquis car ce qui leur semblait complexe (Derrida), une fois décrypté, est apparu presque limpide.
C'est exactement (ou presque) ce que nous voulions réussir.
Des soirées comme celle-là remplissent les coeurs.
Ah merci Zarma,
Je connaissais pas, mais tout y est !
(même si le vrai était vachement plus beau...)
Zarma, tu peux m'éclairer stp. En évitant de censurer tes commentaires dans la foulée de leur rédaction. Merci d'avance.
Tu as inventé le commentaire auto-détruit. Qui implique de se connecter à toute heure pour avoir le privilège de te lire. Les autres iront à Lourdes.
Les écrits s'envolent, où comment faire d'un commentaire un bout de dialogue sur du vent.
A propos d'écrits qui s'envolent, ce matin ta dernière chronique sur Côté ouvert ainsi que tous les commentaires ont disparu avec un message du navigateur "Désolé, la page que vous recherchez n'existe pas " !
Après bidouillage ça refonctionne, il disait quoi Zarma parce que je suis arrivée après la bataille ...
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