C'est une chouette maison de pêcheur aux volets bleus décorée d'artefacts maritimes. Elle s'ouvre sur la baie depuis laquelle se dessine sur un tableau, chaque soir, le coucher de soleil. On y vient à pied, on ne sonne pas ; Yves, dit l'Amiral, vit là et a jeté la clef. Elle est ouverte aux amis de passage. Le rhum arrangé voisine avec le whisky fumé sur l'île de Skye et un gin de première catégorie, de ces nectars qui vous envoient dormir plus tôt que prévu.
On y parle gréements, on y boit gaiement. Juste en face - à gauche sur la photo - mouille Keïla, le voilier racé de Laurent. Ecrivain et marin, ce Limougeaud baptisé rochelais a bourlingué en hobie cat du golfe de la Thaïlande aux côtes de Sierra Leone d'où il a tiré son roman primé, Salone (2012, éditions Vents d'Ailleurs) Il écrit le matin, navigue ensuite. Son prochain ouvrage, Dépossession, est en pleine gestation. On vous en parlera.
Se dépouiller, c'est donc bien l'idée. Quitter la métropole brumeuse et glaciale un matin de décembre pour rejoindre la Guadeloupe déconnecte dès l'arrivée sur Basse-Terre. A Deshaies, les jours sont traversés par la course du soleil, nos mouvements indolents, des nuits étoilées, la mer translucide ; tout invite à savourer doucement, entre amis choisis, chaque heure qui passe.
Nous avons lu jusqu'au bout de la nuit les poèmes de Blaise Cendrars, les chroniques de Stephen Vizinczey, les mots de Charles Juliet qui nourrissent et qui apaisent. Nous avons aussi savouré les étonnants cahiers d'un certain Louis-Adhémar-Thimotée Le Golif, dit Borgnefesse, flibustier digne de Rabelais inventé par un auteur belge, Albert t'Serstevens, et publiés en 1952 chez Grasset.
Cascades, mangroves, récifs coralliens, forêt luxuriante, taureaux encordés dans les champs de canne à sucre, plages de sable blanc, bananiers, le musée Saint-John Perse, celui de Victor Schœlcher et, au sommet d'une colline qui domine la mer, l'ancienne villa de Coluche devenu jardin botanique. L'occasion de se demander comment ce décapeur s'y serait pris pour brocarder tout pareil Micron Ier et les gilets jaunes...
On y croise José, créole déluré qui croque sans fard ses femmes et dont le salon, ouvert à tous les vents, donne directement au-dessus de l'eau ; aussi Marco, rugbyman nourri au treize à Villeneuve-sur-Lot, adepte du bouddhisme et traducteur de textes tibétains ; et tout un casting bigarré qu'on dirait sorti d'un roman de Francis Carco ou, personnages plus désabusés, d'une nouvelle de Joseph Conrad.
Le sextant sorti à midi, ils vivent au rythme des averses tropicales et des ouragans, se protègent des brûlures et des imbéciles, loin de nos impératifs catégoriques et des adjudants d'entreprises qui nous pourrissent l'existence. Hommes libres, ils chérissent la mer et tentent beaucoup. Parfois, ils échouent, s'échouent tel un canot qui a flirté avec la côte, mais qu'importe, ils se renflouent d'amour et d'amitié. A très vite, mes gabiers !
6 commentaires:
Moi aussi, comme un bateau échoué sur la côte, je tente de ressurgir de mes vieilles douleurs et de cette hanche gauche 2019 bien écornée. Après celle de droite de 2018...!
Je dois dire que ce texte m'a fait du bien -je pourrais dire un bien "fou" pour rester dans le ton- et m'a permis de rêver un peu à quelques beaux horizons, de belles rencontres aérant mon esprit et régénérant mon corps, et à cette maison, qui n'étant peut-être pas bleue, se révèle néanmoins être un havre de paix à nul autre pareil. On a vraiment envie d'y être.
L'important, c'est que tu sois à flot, André. Ah, rêver... j'avoue que ce séjour a été un vrai rêve, oui. Eveillé. Quant à la maison, tu as bien perçu la chant, et oui, elle est bleue. Si, si. Vrai. Et j'ai déjà hâte d'être à l'année prochaine...
Dire qu'il y a pratiquement 1 an j'y étais, mais en Martinique.
Gabiers, gars bien, gars heureux. Ils n'ont pas la même notion ou appréciation du temps, ni des hommes d'ailleurs. Même si la société de consommation fait son boer, le CAC 40 n'a pas vraiment d'emprise sur eux. Parce qu'ils ont ce détachement par rapport à nos fondements, nos principe d'occidentaux. Grand bien leur fasse. J'apprécie beaucoup leurs parcs et toutes ces essences végétales multiples qui sont des havres de tranquilité. Et notamment la maison CLEMENT (tjrs en Martinique).
Allez un vieux rhum HSE (Habitation St Etienne) pour tromper le spleen.
Pas de spleen, mon Sergio, que du bonheur à savourer lentement devant le coucher du soleil, magie renouvelée. Et un poulet boucané entre amis dans un "lolo".
Ah le poulet boucané. Et dans un " lolo" pas de travers. Ainsi va labit.
Pas besoin de sextant pour trouver le chemin.
ah ah...
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