vendredi 8 mai 2020

Paix poétique

En ce jour de victoire et de paix revenue, me vient l'idée de célébrer ce que le confinement nous permet d'effectuer dans les meilleures conditions, à savoir le temps de lecture. Et d'écriture, pour certains. En relisant Préférences, recueil de textes écrits par Julien Gracq, grand amoureux du rugby, je ne peux m'empêcher de vous faire partager un extrait de Pourquoi la littérature respire mal, conférence faite à l'Ecole Normale Supérieure en 1960. Texte qui n'a pas pris une ride, magnifiquement contemporain.
"Les neuf dixièmes de notre temps vécu, de ce temps dont rien après tout n'est inintéressant pour la littérature, se déroulent dans un monde sans passé et sans avenir, dans le monde de ce qu'Eluard a nommé la Vie immédiate, monde où l'histoire mord à peine, où le souci de l'action et de l'engagement n'a pas de prise."
"Et puis, à lire ces romans étouffants d'où l'air libre et le monde extérieur sont exclus, pleins à craquer d'une humanité aigre et exaspérée, et où on pénètre quelques fois comme dans un wagon de métro à six heures du soir, ce qui me frappe, c'est une exclusion délibérée et systématique. L'exclusion de cette espèce de mariage, mariage d'inclination autant et plus que de nécessité, mariage tout de même confiant, indissoluble qui se scelle chaque jour et à chaque minute entre l'homme et le monde qui le porte, et qui fonde ce que j'ai appelé pour ma part la plante humaine."
"Il n'y a pas de place pour la plante humaine dans la littérature de notre temps, et on dirait que tout y a été dit de l'homme sauf ceci d'essentiel : cette bulle enchantée, cet espace au fond amical d'air et de lumière qui s'ouvre autour de lui et où tout de même, à travers mille maux, il vit et refleurit. Le monde n'a jamais pu nous être aussi inamical, aussi fermé, aussi irréductiblement étranger qu'on le dit, puisqu'il y a toujours eu des poètes."
"Une page de Tolstoï, de ceux que j'appelle les grands végétatifs, nous rend à elle seule le sentiment perdu d'une sève humaine accordée en profondeur aux saisons, aux rythmes de la planète, sève qui nous irrigue et nous recharge de vitalité, et par laquelle, davantage peut-être que par le point de la lucidité la plus éveillée, nous communiquons entre nous."

33 commentaires:

André Boeuf a dit…

Complexe. Je pars faire un tour de vélo...Il faut nettement s'aérer après une telle lecture!

Serge Eynard "Sergio" a dit…

Pareil, attaque surprise dans le peloton au ton badin armisticié. Vais écouter de la musique en attendant que la sève irrigue correctement ma lucidité, et remonter éventuellement en tête de peloton pour mener le train de la poursuite...des poètes disparus.

Gariguette a dit…

Synchronicité jungienne ? Appelée hier sur Facebook par Philippe Glatigny à mettre la photo du livre que j'aime le plus j'ai posté "La guerre et la paix" de Tolstoï, un peu à l'estime ( choisir un seul livre !) mais là à lire ces lignes je ne regrette pas mon choix . Je me trouvais désespérément "classique" et je me retrouve en admiratrice des plantes humaines . On a le jardin qu'on peut et je sais un Corse féru de rugby qui fait croître une forêt à partir d'un brin d'herbe et qui m'en impose par la beauté de ses plantations spontanées ; je n'ai pas la main verte, pire que ça je ne cueille pas une fleur ; elle mourrait aussitôt . Mes fleurs sont littéraires et ( souvent) antiques . Mais alors quelle surprise que ce dédain de Gracq pour le Nouveau Roman (car c'est bien de cela dont il est question ?)
D'autant plus étrange que l'oeuvre de Gracq ne me semble pas si éloignée du Nouveau Roman . Mais ça mériterait une thèse ce sujet ! Je connais un peu Gracq, un peu certains livres de Butor ou Sarraute, ça n'est pas assez pour avoir une opinion, juste une impression de parenté .
Et puis aux uns et aux autres je préfèrerai toujours les Anciens Romans - puisqu'il y a un Nouveau Roman ...-
"Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de La Seine […]. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : "À nous deux maintenant" " c'est la fin du Père Goriot et tout commence .
Eh bien ça me parle davantage que l'évocation des villes italiennes par J Gracq " J’ai étouffé à Rome et à Florence – étouffé dans l’émerveillement – un peu comme dans le confinement* d’un musée sans fenêtres : bouillonnement esthétique en vase clos, excès dans l’entassement d’art associé à un manque d’espace et de lointains ." Alors c'est qui la plante humaine ?
* Désolée, pas pu résister ...

richard escot a dit…

André, Sergio, Gariguette, princes et princesse du clavier... La course en tête... Rien du hasard... Tout de l'art, la tête y compris, bien compris... Gracq, pour le son aussi. Et Julien pour Stendhal... Le rugby comme la littérature en Stendhal. Et oui, Sylvie, le Nouveau Roman, Robbe-Grillet, Butor, Simon, Ollier, Pinget. Davantage que Sarraute, qui n'était pas - mon avis personnel - visée particulièrement et pour laquelle Gracq avait de l'estime littéraire et qui n'est pas tout à fait de la même veine que les précités.

André Boeuf a dit…

"C'est clair et net. Ni le futur ni le passé ne sont. Il serait plus approprié de parler des trois temps, présent du passé, présent du présent, présent du futur. Les trois existent dans l'âme et nulle part ailleurs. Le présent du passé, c'est la mémoire. Le présent du présent, c'est l'observation. Le présent du futur, c'est l'attente. Si on m'autorise cette façon de parler, alors oui, je vois trois temps, je reconnais l'existence de trois temps."
Saint Augustin. Aveux, XI, 26, P. 323.
Çà porte, là aussi et encore, à réflexion. En particulier en plaçant ce texte face à la "Vie immédiate" d'Eluard et au ressenti de Gracq.

richard escot a dit…

Du latin "confessiones", je ne pense pas que l'ouvrage majeur d'Augustin d'Hippone dont tu parles, André, puisse se traduire par "Aveux". J'aimerais bien que tu me montres la version dont tu disposes et qui est traduite ainsi car elle doit valoir de l'or chez les collectionneurs... ;-)
Livre XI, oui, sur les XIII, qui est titré "la création et le temps". Je suis vérifié ça chez mon voisin qui m'avait ses exemplaires quand j'ai rédigé avec Christophe "le dictionnaire des penseurs".
Personnellement, je préfère ce passage pour illustrer le temps vu par Augustin d'Hippone (je suis athée donc pas de "saint" pour moi ; chez les philosophes, il est connu comme tel) :
"Qui ose nier que le futur ne soit pas encore ? Cependant l'attente du futur est déjà dans l'esprit. Et qui conteste que le passé ne soit plus ? Pourtant la souvenir du passé est encore dans l'esprit. Y a-t-il enfin quelqu'un pour nier que le présent n'ait point d'étendue, puisqu'il n'est qu'un point évanescent ? Mais elle dure, l'attention par laquelle ce qui va être son objet tend à ne l'être plus." Passé et futur forment donc une partie du présent.

richard escot a dit…

Tu as raison, André, c'est une façon très juste que de citer Augustin pour définir le présent. Visiblement, j'en déduis que tu n'as pas lu "le dico des penseurs." Ne t'inquiète pas, je ne me vexe pas. ;-)

André Boeuf a dit…

Je vais continuer à répondre dans un moment.
Juste dire que le "Dictionnaire des Penseurs" fait partie de ma bibliothèque quasiment depuis l'origine de sa publication. Il me semble me rappeler que j'avais raconté, ici même, comment et où j'avais été le commander et le chercher: dans une petite librairie à côté de chez moi et à vélo bien sûr. Par ailleurs, je pense que ce n'est pas forcément le genre de livre qui se lit "comme çà". De la même façon que celui du "désir de lire" aimablement offert, ainsi qu'à mon ami Bala, par Benoit et toi, un jour de rencontre chez Henri. Et puis, je ne suis pas un grand lecteur: ni systématique, ni compulsif, ni collectionneur, ni professionnel, ni universitaire, ni quoi que ce soit d'ailleurs d'autre. Juste et seulement amoureux des livres et de la lecture. Sur un terreau familial quand même. Lectures instinctives, hasardeuses, faites de "on-dit", d'intuitions et de suivi de pistes -un peu comme un indien- et de rencontres. Entourés d'amis, eux plus grands lecteurs que moi et, donc, partant de ci-delà, de bouche à oreille et peaufinant, malgré tout, mes envies et mes orientations. A force, j'ai quand même structuré un peu tout çà, car, moi aussi j'ai, comme le dit très bien ton directeur de collection Jean Pruvost, le goût du dictionnaire et de la vision historico-comparative. Mais il y a dans mon dictionnaire personnel d'immenses lacunes, d'énormes failles que je connais. Que je connais puisque, à l'inverse de G.Pérec parlant de ce qu'il se souvient, J.Bens, de l'Oulipo lui aussi, a écrit "J'ai oublié'. On peut donc "connaitre" un ensemble littéraire sans en posséder tous les agrégats. Et puis, aussi, on sait très bien que l'on, peut parler d'auteur jamais lus complètements mais tellement prégnants qu'ils font presque parti de soi-même, comme quelque chose d'inné, pour reparler de proprioception. Et puis, tout ce qui a été plus ou moins lu et étudié au cours de mes longues années de lycée et de fac, avec plaisir ou pas, mais sans suite et approfondissement réel. Bref.

André Boeuf a dit…

Alors, bien sûr, Saint Augustin. Saint ou pas saint? Je ne sais pas. Je ne suis pas religieux, comme toi, mais je ne vois pas en quoi le fait de dire Saint Augustin ou autre puisse gêner ma vision du monde. C'est, me semble-t-il, plus une convention de langage qu'autre chose. Certains on supprimé des "E" pour moins que çà! Et des têtes aussi, si on y pense...D'ailleurs, puisque tu me fais prendre ton dico des penseurs, je lis, à Augustin d'Hippone, page 31, dans "Perspective":
- "La vie de saint Augustin est la mieux fournie de toutes...". Comme quelque chose qui se serait échappé en dehors de ta volonté, qui ressort du langage commun. Alors, oui, "saint" et non pas "Saint". Cela me paraît raisonnable. Bref encore.
Pour répondre à ta question sur "Aveux", au lieu de "Confessions" plus connu, je ne peux pas te répondre à l'instant car je n'ai fait que ressortir cette citation d'un livre que je lis actuellement en tant que "lecteur/correcteur" d'un "psychanalyste- croyant", Marc Bonnet. Je vais m'empresser de lui demander pourquoi "Aveux", et je te ferais suivre la réponse.
Pour ajouter une autre version du temps augustinien, cette petite réponse de sa part à la question sur ce dit temps:
-"Qu'est-ce que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais. Si je veux l'expliquer à qui me le demande, je ne le sais plus.".
Un peu comme moi pour certains questionnaires. Sans question et de moi-même, je sais. Questionné, je ne sais plus.
Je continuerais sur le texte de la conférence de Gracq un peu plus tard. Besoin d'une prise d'air.

richard escot a dit…

Désolé, André, je ne voulais pas de vexer, c'était juste un petit trait d'humour bien maladroit. Je sais que tu as l'ouvrage... ;-)
Ecrire "saint" pour Augustin m'a échappé, je l'avoue. Alors que pour Thomas d'Aquin, p. 18, c'était volontaire.
Concernant la traduction de ton copain Marc Bonnet, je suis effectivement très curieux de savoir pourquoi "aveux" et non "confession" à partir de la traduction du latin au français... Son aveu sera passionnant à analyser ;-)

Gariguette a dit…

en latin confessiones a le sens d'aveux, c'est même le 1er sens avant confessions, il s'agit d'avouer ses péchés bien sûr au sens chrétien du terme . https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=confessio

André Boeuf a dit…

Saint-Augustin
"Les Aveux",
Nouvelle traduction des "Confessions", par Frédéric Boyer, POL, Paris, 2004.

richard escot a dit…

Traduire "Confessiones" par "aveu" est pour moi une "hérésie". Encore plus bizarre de la part d'un psychanalyste.
Augustin n'avoue rien puisqu'il n'est pas "attaqué" ni mis en demeure de... Il n'a rien à avouer, d'ailleurs, puisqu'il reconnait. C'est d'ailleurs tout le sens de l'intériorité. Il n'avoue rien puisqu'il a commis en toute connaissance. En fait, il se transforme, convertit, touché par la grâce de Dieu. La seule chose qu'il avoue, c'est avoir eu peur de la mort et du jugement divin, d'où sa conversion. Il s'agit d'exaltation spirituelle, de rédemption. D'où la confession. Chez les croyants, on ne dit pas "passer aux aveux" mais se confesser.
C'est pourquoi cette traduction de "confessiones" par aveu est presque un contresens ontologique. Bizarre, tout ça.
Et qui plus, si le cas contraire l'emportait, cela voudrait dire que depuis seize siècles, tout le monde se trompe sur cet immense manuscrit. Improbable.
Ca doit être un "sacré" coquin, ce Bonnet... ;-)

André Boeuf a dit…

Ce n'est pas Marc Bonnet qui a traduit les "Confessions" de Saint-Augustin par "Aveux". Je ne l'ai pas encore contacté. Par contre je lui demanderais pour quelle raison il a préféré et choisi cette traduction.
Tout simplement, j'ai cherché "Les Aveux" de Frédéric Boyer et en ai profité pour lire un certain nombre de pages offertes, 48 quand même! Pour ma part, je n'ai pas de position tranchée, mais ces quelques pages m'ont passionnées.

andré Boeuf a dit…

Et encore, oui, ce Marc Bonnet est un "sacré" coquin.

richard escot a dit…

Je m'en doutais ;-)

André Boeuf a dit…

Mon cher André,

Merci de ton message et de l'attention que tu portes à mon manuscrit; En ce qui concerne Bibliographie et index, cela n'était pas terminé et cela fait partie des finitions! Je suis en train de relire mon manuscrit en tenant compte des remarques et critiques des primo-lecteurs et les tiennes seront les bienvenues.

J'ai choisi la traduction d'Augustin par Frederic Boyer car cette version a servi de contenu à la mise en scène par Denis Guennoun de la pièce de théâtre Qu’est-ce que le temps ? Cette pièce était magistralement jouée par un acteur, Stanislas Rouquette, seul de bout en bout de la pièce. Cette pièce et cette traduction m'ont stimulé à écrire un petit article sur la notion de temps. Ta réflexion tombe à pic sur celle qui m'a animé pendant le confinement en m'amenant à revisiter les notions de Chronos et de Kayros A suivre.!

Bien amicalement,

Marc

J’ai découvert en 2012, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne (69),

richard escot a dit…

Donc pour aveu à la place de confession il faut demander à Frederic Boyer.
Mais j'aimerais avoir l'avis perso de ton ami Marc sur le sujet.
Si c'est possible

André Boeuf a dit…

Il suffit d'aller dans Google. J'ai lu les 48 pages offertes gratuitement, enfin surtout les premières, dans lesquelles F.Boyer explique son choix. Très clairement d'ailleurs.

Gariguette a dit…

"En intitulant sa traduction nouvelle Les Aveux, Frédéric Boyer retrouve la force brute et première du mot confessio. Le chef-d'œuvre de saint Augustin n'est pas un misérable petit tas de secrets lâchés dans l'ombre d'un confessionnal. C'est une confessio fidei, une profession de foi, et une confessio laudis, une louange faite à Dieu. « L'idée est moins de déconfessionnaliser l'œuvre d'Augustin que de faire violence aux traditions de sa réception, explique le traducteur dans sa préface. D'extraire l'œuvre de son “langage reçu”. L'expression “avouer Dieu” prend alors une force inédite, à mon sens susceptible de faire écho aujourd'hui à l'étonnante nouveauté de l'écriture de cette œuvre. » Ce mot « aveu » a de multiples énergies de sens qui épousent toutes l'esprit de l'œuvre de saint Augustin." Extrait d'un article du Figaro " Fort en thèmes et en version " par Sébastien Lapaque . Si ça peut éclairer le titre ...

André Boeuf a dit…

"Les grands végétatifs", quelle expression!
Richard a eu le nez creux et suffisamment d'énergie pour lancer cette réflexion sur, entre autres, le temps.
Cette réflexion entamée depuis l'enfance et bourgeonnant de façon telle qu'il me serait possible de suivre un nombre considérable de ramifications nettement liées à cette notion, a provoqué une reprise de toutes ces vieilles pensées en les réactualisant; un livre si ce deux sous le coude. Mais, bizarrement, si l'on ne me connais pas, je suis"débordé". Je fais partie de ceux pour qui le confinement n'a pu que me convenir. Et pourquoi donc? A cause de l'intime liaison entre le temps et l'espace. Cette relation, sans être ni même connaître Einstein, me turlupinait sur mon vélo. Quand vous montez un col, en se déplaçant donc lentement dans l'espace, le temps, subitement s'accélère alors, que, lorsque vous descendez à toute allure un col, l'aiguille de votre montre semble s'arrêter. Je vous laisse imaginer les rouages de mon cerveau.
Cependant, et, peut-être malheureusement, je suis, comme je le disais, débordé et ne peut donc continuer à développer mes notes qui, malgré tout, s'accumulent. C'est là que le Kairos intervient: l'instant "T", le bon acte au bon moment, le temps opportun. Ce n'est et cela n'a jamais été mon point fort. Peut-être même une volonté que cela ne le soit pas. Après ce "bon" temps passé, tout devient très, trop compliqué et la position du "végétatif" me convient à merveille.
Bref, vous le comprendrez, le temps me presse et je dois repousser quelques développements qui brûlent mes doigts aux "calendes grecques".
Ah, ces Grecs!

André Boeuf a dit…

". Un livre possible, si ce n'est deux sous le coude.".

richard escot a dit…

Oui oui ça éclaire. Mais avouer n'est pas confesser. Je ne suis pas convaincu.

richard escot a dit…

Ah ah André tu fais mon régal ce jour

richard escot a dit…

Bon après cest comme Gould au piano ou Leonardt au clavecin pour les variations Goldberg...

richard escot a dit…

Leonhardt

André Boeuf a dit…

Pour ma part, je ne sais pas trop. En général je ne suis pas très partisan de cette volonté de reprendre les choses pour les remettre au goût du jour. Comme les opéras de Mozart en costumes trois pièces...Et puis, malheureusement, ma culture latiniste est maigre, alors...!? Je sais que certains auteurs, comme Milan Kundera, sont très sensible au respect du texte original par les traducteurs. Mais là? Je ne sais pas. C'est,ici aussi, tout un pan de réflexion qui ne me touche qu'à moitié. Çà dépend des fois, à voir...Comme savoir si Shakespeare a bien existé ou si c'est Corneille qui a écrit certaines comédies de Molière...En fait, je m'en fout un peu.
Pour les interprètes de Bach, mon oreille a été formée par les goûts de ma grand-mère -un livre là encore possible- pianiste (élève de Blanche Selva; à noter qu'elles étaient nées la même année!). Tout çà est donc bien vieux...Pour le clavecin et les Variations Goldberg, Wanda Landowska et pour le piano et le reste, Edwin Fischer, "Le Clavier bien tempéré", par exemple, qui passe actuellement sur ma chaîne. Mais j'aime aussi beaucoup Gould, et Rosalyn Tureck...
J'ai une bonne collection de 33 tours donnée par mon frère, lui aussi pianiste -amateur éclairé- ayant fait toute sa carrière à France Musique (encore un livre a écrire, que diable!). L'anecdote, pour rejoindre par une bande extrêmement lointaine le rugby, c'est qu'il est devenu ami de Claude Maupomé avec laquelle il fit la première émission de cette dernière qui s'appelait "Comment l'entendez-vous?" sur cette dite chaîne...Claude Maupomé, que j'ai bien entendu connue, a été, un certain temps la femme de Blondin. Denis Lalanne en parle un peu dans "Rue du Bac.." Mais l'anecdote pourrait se poursuivre et serait étonnante. Les anecdotes serait plus exact à dire avec leurs liens, leurs imbrications, leurs rebondissements. Elles rejoindraient, par leurs aspects ou curieux, ou apparemment hasardeux, ou similaires, ou complémentaires voire même supplémentaires, quasiment le Kairos. Kairos, qui, cette fois, et dans ce genre de domaine, m'a toujours été particulièrement favorable.
Mais trêve de Kairos, et pour rejoindre Julien Gracq en une sorte de boucle ponctuellement finale, je pense qu'il faudra sérieusement se pencher sur l'Aion et la destinée, les destinées; ces blocs de temps communs, de succession d'instants que l'on pourrait nommer générationnels.

André Boeuf a dit…

Au fond Gracq semble reprocher aux écrivains du Nouveau Roman d'être des sortes de Cubistes dans le domaine de la peinture face aux écoles précédentes plus proches d'une vision plus figurative. Mais la musique a suivi le même mouvement avec Alban Berg, Arnold Schönberg, Anton Webern...le dodécaphonisme....et puis, la musique électronique... Pierre Schaeffer et son G.M.R.C....Et la musique concrète...Bref, le monde a changé. Le monde change et ses représentations de même. Gracq pense cependant que, quelque poète existe encore de part ce monde; et comment lui reprocher. Les écoles, elles aussi passent, avec leurs visions du monde particulières, et parfois, des retours réactualisent d'anciennes conceptions. Et des évènements plus ou moins brutaux resituent les échelles de valeur et replacent l'homme au centre du jeu. Un peu comme aujourd'hui.
Ce Tolstoï, dit "grand végétatif", et cette nature, cette force vitale qui est aussi et pleinement nous mêmes par le flot de sang, de sève qui nous lie, nous relie. Depuis un certain temps oublié tout çà. Un monde construit, mécanique, sans âme, sans chair à vif, presque uniquement technique que l'on pouvait -et peut encore- croire "enfin" libéré des contraintes naturelles. Si l'on regarde d'un coup d’œil rapide survolant l'histoire de l'homme il est patent que le nature est l'ennemie. Pas pour tout le monde heureusement. Et puis, finalement, elle, cette nature que l'on tente de mettre hors de soi, est vite à même de nous remettre à notre place. Cette nature qui est nous.
Ce texte de Gracq m'a donc mis la poudre en tête en plaçant le doigt sur de profonds et personnels domaines d'observation et de réflexions associées. Par exemple, et j'en resterais là pour ce soir car je fatigue et deviens confus, cette trilogie Espace/Temps, Qu'est-ce que je sais? et, lié à ces deux premiers points, la question du Classement.
Trilogie soutenue par un colosse, celui de Maroussi d'Henri Miller. Écrit en 1936, mais là aussi, quelle actualité! Allez, les Grecs!

André Boeuf a dit…

C'est "Comme Fou"...Alors.

Dire que ces premières sorties vélo "libres" ne m'ont fait voir que le côté épouvantable du monde d'avant: du bruit et de la fureur. Des sortes de boites de conserve aiguës, bruyantes, puantes et brinquebalantes se déplaçant, à par manifestement quelques artisans, sans but ni intérêt réel: si ce n'est de sortir et, surtout de sortir ces engins. Jusqu'au dernier week-end, l'air était redevenu pur, les sons doux et clairs, le spectacle du monde beau et homogène. Et, soudain, l'homme armé de ses engins est réapparu. C'est net: le problème est de ce côté. Et, dès mardi, le surlendemain, donc, de l'ouverture des portes, l'air s'est remis à sentir, essence, gas-oil et gaz carbonique...Presque un mal de tête sur une petite sortie de 30 kilomètres!

Je relis ce que j'ai écrit ci-dessus et je note que, comme d'habitude -je me connais- les réflexions "hors moi" ne sont pas mon fort. Je ne suis pas un théoricien, c'est net. Il me manque méthode, courage, matériels et matériaux pour être fiable. Tant pis, c'est comme çà.

Pour revenir à Gracq, deux choses:
1 - Déjà signaler que je ne l'ai pas lu. Je le connais, bien sûr, à l'aune de ce que je disais ci-dessus. Mais je ne le connais pas au sens que, moi, j'entends c'est-à-dire lire réellement, entièrement, profondément. J'ai entendu dire que certains possédaient une bibliographie bien adaptée et qu'une lecture succincte, orientée suffisait. J'ai connu, dans les années 60, les "Reader's Digest. Je les vomissais. Je suis assez proche de cette image donnée par Christian Bobin, dans "La part manquante":
-..."On pourrait recenser les livres suivant l'embarras d'en parler. Il y a ceux engorgés de pensée, de savoir. Tous les livres ensablés dans l'eau morte des idées. Les gens qui vous en parlent sont très vite insupportables. Même quand ils lisent beaucoup ils ne lisent pas; ils font fructifier leur intelligence. Ils font fructifier leur or." Ce qui est assez proche de "ces romans étouffants d'où l'air libre et le monde extérieur sont exclus"...
Et, là, juste une petite parenthèse pour se poser la question notée ci-dessus: Qu'est-ce que je connais? Et essayer d'y répondre sincèrement. Par exemple, de moi-même, est-ce que je connais parfaitement mes plantes pieds, le creux de mon dos ou l'intérieur de mes intestins....toutes choses pourtant parfaitement intimes, personnelles, indispensables. Mais, plus sérieusement, quels sont les domaines dont je puis dire: çà, je connais. Pour ma part, j'essaie de répertorier quelques domaines; ce n'est ni évident, ni glorieux. Mais ce secteur, énorme, étant un sujet en lui-même, je stoppe là.

André Boeuf a dit…

2 - Pour aller, ensuite, dans la direction sensible de Gracq, "qui se scelle chaque jour à chaque minute entre l'homme et le monde qui le porte" et regrettant que ce "monde n'a(i) jamais pu nous être aussi inamical, aussi fermé", je voudrais citer, là encore un autre écrivain qui m'est cher et qui parle, lui aussi, à sa façon, de "plante humaine" et de poètes. Henry Miller, bien sûr. Bien sûr pour moi, évidemment, et pour beaucoup d'autres de mes proches et, je l'espère, de beaucoup d'autres encore.
Alors, par exemple, dans le "Colosse de Maroussi", écrit en 1936, publié en 1958 par les "Éditions du Chêne" et, pour moi, lu dans les années 65/70 dans le Livre de Poche n°2741, par exemple:
- ..."L'impression la plus vive et saillante que la Grèce m'ait laissée, c'est qu'elle est un monde à la taille de l'homme.".."Les Dieux étaient de proportions humaines: c'est de l'esprit des hommes qu'ils sortirent"..."dans le monde continental, ce lien entre l'humain et le divin est rompu."..."ce schisme dans la nature même de l'homme, fournit la clef de la destruction inévitable de notre civilisation actuelle"...(Page 305).
-... "Il n'y aura pas d'espoir de paix tant que le vieil ordre n'aura pas explosé. Il faut que le monde redevienne petit, comme l'était le monde grec, autrefois. assez petit pour inclure chacun de nous"....(Page 306).
Je finirais, toujours avec Miller, mais dans le "Tropique du Capricorne":
- ..."...Sorte de petit univers à la grecque, assez profond cependant pour fournir toute manière d'aventures et de spéculations. Pas tellement petit non plus, puisqu'il tenant en réserve un potentiel immense. Je n'ai rien gagné à l'élargissement de ce monde: j'y ai perdu."...."Je veux gagner de vitesse l'homme inventif, qui est la plaie de ce monde"..."Je reviens à un monde encore plus petit que le vieux monde des Hellènes, un monde qu'à tout instant je peux toucher de mes bras étendus"...
C'est tout pour l'instant;
Et que vivent les Grecs!

André Boeuf a dit…

Bonjour et merci pour ce texte à Myriam.
Et puis, n'oublions surtout pas que les Grecs sont des quasi Iliens.
Les Iliens et les Grecs avec nous!

André Boeuf a dit…

Maryam, veuillez bien m'excuser.

André Boeuf a dit…

C'est quoi cette histoire de jeu plus ou moins explosif, Maryam?