"Ses triomphes électoraux, ses rassemblements de masse émanent de couches populaires essentiellement jeunes, issues de ce que de manière un peu vague on appelle "la petite bourgeoisie" et principalement de ce que cette petite bourgeoisie a de plus subalterne : employés, petits fonctionnaires, paysans, artisans, commerçants ruinés, diplômés dans emploi, bref les citoyens les plus frustrés et les plus aigris.
"Se libérer à tout prix, faire bloc contre la misère et la domination étrangère qui est en cause, s'agglutiner à un guide sorti des entrailles les plus profondes et les plus obscures de son peuple, retrouver vie, dignité, salut, n'est-ce pas là une épopée - une de ces épopées si banales, si courantes en notre temps ? Libération nationale et totalitarisme ne sont assurément pas sémantiquement des synonymes, et pourtant combien aisément un terme appelle l'autre. Pour être libre, rejetons tout élément étranger, donc ennemi, formons un bloc inébranlable autour du chef qui nous a donné liberté, bonheur, fierté !
"Ce qui peut exercer une séduction inavouée, c'est la capacité à mobiliser les masses, à déployer une force collective et une volonté de combat, à faire naître une foi nouvelle incarnée dans un sauveur. Et c'est, dans le monde présent, l'affirmation d'identités nationales, religieuses, linguistiques et même raciales. Les mêmes expressions d'agressivité, de terreur, de fanatisme religieux, de conditionnement des masses sont trop souvent honnies ou exaltées, selon qu'elle sont le fait de groupes dominants ou dominés, que la violence émane d'un pouvoir établi ou d'une résistance à ce même pouvoir.
"Aucune règle morale ne peut fixer l'expansion territoriale, la puissance, la richesse, le rôle mondial, le prestique culturel qui reviennent à un Etat national, tout cela ne peut qu'être le produit de rapports de force changeants. Ce n'est pas dans la perspective d'un impossible droit des peuples que peut se fonder une paix basée sur la justice, mais dans celle des droits de chaque homme, quelle que soit son appartenance étatique ou nationale.
"Chacun à droit à la nourriture, à la santé, mais aussi à une vie moralement et intellectuellement épanouie. C'est en tant qu'expression de la personne qui doivent être pensés le droit à l'identité confessionnelle, linguistique, culturelle et la légitimité de la révole, voire de la violence, non en tant qu'affirmation de la puissance collective d'une entité hypostasiée."
Hitler prend le pouvoir, rédigé en 1982 par Georges Goriely (professeur de sciences politiques et de sociologie à l'Université Libre de Bruxelles.
13 commentaires:
Il y a de quoi dire; mais tout ou presque a déjà été dit et écrit sur le sujet. Bien sûr, il est toujours bon de remettre l'ouvrage sur le tapis.
Juste deux petites choses qui me sont venues à l'esprit en lisant ce texte ce matin:
-..."la capacité à lever les masses, à déployer une force collective et une volonté de combat"...Cela m'a fait fortement penser à Lucien Mias regroupant ses troupes en AFS en 1958...Alors, là, pour ressortir une scie usagée, disons qu'il n'y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne. des choses apparemment semblables peuvent être totalement différentes selon les cordes, les forces, les motifs qui les sous-tendent.
Et puis, lorsque je lis que "chacun à droit...", cela me laisse toujours perplexe. Trop juste, à l'instant, pour développer ce sentiment, cette pensée.
Encore dire qu'un de mes écrivains favoris, Élias Canetti, a été toute sa vie obsédé par cette idée de la masse et qu'il a, finalement, réussi dans les années 60 à écrire cette œuvre -difficile- sous le titre de "Masse et Puissance".
Si la critique de l'appétence des masses pour le sauveur providentiel, lorsque tout semble aller de mal en pis, est une évidence, il est surtout utile de rappeler qu'aucune génération n'est totalement à l'abri de ce genre d'aventure !
Il suffit tout simplement que les choses aillent en se dégradant, suffisamment longtemps et de manière suffisamment sensible.
Si de surcroît la société sort d'une époque d'abondance, d'insouciance et d'attirance prononcée pour le paraître, alors il ne manque plus grand chose pour allumer la mèche.
Tout ceci nous rappelle quelque chose, bien entendu.
Heureusement, d'autres récits commencent à émerger, minoritaires certes, mais en forte croissante : ils ont pour mots clés "intelligence collective", "création de communs", "partage", "solidarité", "frugalité", "bienveillance"...
Reste à savoir combien de temps il nous reste pour les déployer...
L'histoire se répète, comme on dit...Mais on dit aussi qu'elle ne repasse pas les plats...En fait, et très certainement, les deux versions ont leur raison d'être. D'un côté, la nature humaine qui reproduit ses tendances profondes, comme les glands donnent toujours des chênes, de l'autre, les transformations du monde, le milieu extérieur qui, lui se transforme et influence puissamment les comportements. Seulement, si cet extérieur s'effondre, il me semble évident que les pulsions humaines, plus ou moins contrôlées par le socius en temps "normal", reprendront leur "droit", là, c'est le cas de le dire.
Par ailleurs, je ne connaissais pas ce Georges Goriely.
Je viens de regarder dans ton "Dictionnaire des penseurs" et je n'en trouve pas trace. Mais les choses changent, selon l'expression consacrée, et c'est tant mieux. Certains fondements sont "éternels", et d'autres naissent ou renaissent sous d'autres formes. Et puis, un classement se fige dans le temps et doit être constamment être réactualisé pour rester d'"actualité"; il faut de la chair fraîche, n'est-ce-pas?
Nous sommes dans une situation paradoxale.
La dislocation des politiques ne permet pas de voir l'un d'eux se positionner dans une posture entraînant une adhésion collective de la nature décrite dans ce texte. Mais par ailleurs des groupes profitent de cet espace libéré pour tenter de prendre le pas sur lee système.
Alors, de quel côté peut pencher la balance ?
Difficile à estimer tant la versatilité des comportements individuels peut s'aligner de manière irrationnelle sur des événements collectifs.
Des évolutions de langage doivent retenir notre attention chez quelques leaders français. L'adoucissement des lignes programmatiques chez certains ne rassurent pas.
Mais préservons nous de cet atroce conversion sociétale d'un basculement dans l'irrationnel collectif.
De biens belles et riches contributions je reviendrai vous voir tres vite avec un peu d'éléments contributifs supplémentaires
Tout comme André je ne connaissais pas Georges Goriely mais une recherche rapide sur Internet m'informe sur le contenu de son livre. Il analyse les conditions politique, économique et sociale qui ont permis l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Il s'interroge sur la responsabilité du PC, des partis catholiques, libéraux, démocrates et sociaux-démocrates... capitulant devant Hitler, jusqu'où peuvent-ils être tenus pour responsables de son ascention. Bref sur la responsabilité des taisans (j'espère ne pas me tromper sur l'utilisation de ce mot)
Force est de constater, hormis pour le PC, que toutes les conditions sont réunies, qui plus est sous la bulle de la Covid, pour que tout explose à nouveau, et favorise l'élection d'un chef suprême. Ce qui me désole c'est l'absence pour moi d'un candidat avec un discours positif, constructif, qui ne soit pas atteint de cécité
Je dois avoir l'honnêteté de dire que ne trouvant pas moi même de réponse constructive , je dois lutter pour ne pas céder à l'appel des sirènes
Je suis effrayée par ce qu'il se passe actuellement dans l'université française, la mienne notamment à Grenoble, l'IEP où j'ai passé une année épatante avec des professeurs ouverts, l'UNEF mon syndicat ! Bon OK c'était il y a plus de 40 ans . Mais que leur arrive-t-il ? La cécité dont tu parles Lulure je la trouve aussi à gauche dénoncer des profs leur demander de s'excuser ?!! Pas s'étonner ensuite qu'en face ils n'aient qu'à attendre pour ramasser la mise et puis quoi ? Quel choix avons nous ? Des procédés dignes de Khmers rouges ne sont pas acceptables provenant du côté en principe progressif de la société politique . Sans correctif musclé de ces errements je pense que c'est fichu . Et j'ajoute quelque part tant mieux !
La cécité n'a pas de bord
J'ai reçu de la part d'amis très au fait de la chose politique et publique de nombreuses contributions via sms, qui aurait méritées d'être publiées ici. Comme elles m'étaient adressées à titre personnel, je ne suis pas certain qu'il soit judicieux de les relayer. Pour ma part, et sans avoir envie de conclure ces échanges fructueux, je voudrais glisser cette citation de Bertolt Brecht, que l'on trouve aussi appropriée de placer en épilogue de "J'accuse" : "Il est encore fécond le ventre d'où sortit la bête immonde."
Je reprends l'article précédent à propos de l'écrit dithyrambique et chaleureux d'André Buonomo à propos du livre de Serge Collinet "Rugby au cœur".
Je pense, après avoir acheté et lu ce livre, que l'interprétation humaine et rêveuse d'AB relève de beaucoup la lecture de ce livre. Non que je ne l'ai pas trouvé bon véritablement. Mais un peu inodore, incolore et sans saveur. Un survol de tous les aspects du rugby à travers l'histoire d'une équipe d'un collège parisien jusqu'au titre de champion de France scolaire. Une impression bizarre de mécanique: comme Boris Vian pouvait définir une "chanson fabriquée" par ordinateur dans "En avant la zizique et par ici les gros sous"..., en regard de chefs d'œuvres issus un peu du talent, un peu du hasard d'auteurs/artisans et d'interprètes originaux. Tout est parfait, bien carré, bien ordonné, mais je n'ai jamais ressenti beaucoup de chaleur humaine comme j'avais pu le trouver dans "Mon sac de Rugby" de Jacky Adole que j'avais vraiment lu avec enthousiasme.
Finalement, André Buonomo a joué les Baudelaire, traducteur génial d'Edgard Poe dont on dit que son succès français doit tant à son traducteur.
Enregistrer un commentaire