Renaissant de ses cendres, l'incarnation de Joaquin Phoenix relègue ici très loin les pourtant remarquables performances de pointures comme Jack Nicholson, Heath Ledger et Jared Leto dans le rôle. Tout en omoplates et en articulations, le Joker, c'est lui ! Mais ce n'est pas tant le personnage - maniaco-dépressif, schizophrénique et borderline - interprété au-delà de la perfection et jusqu'à la nausée qui interpelle mais le sujet, à savoir le rejet.
Ce film est une allégorie inversée de la chute sociale d'une partie de plus en plus grande de la population laissée pour compte, voire humiliée, chaque jour davantage par ceux qui gouvernent nos destins, pourceaux des administrations et des médias. Filmé sans génie mais au plus vrai, en contre-jour et en flou artistique, ce long métrage n'a d'autre objet que de suivre les méandres d'une transformation.
S'engluer de l'ombre glauque pour soudain passer par les feux de la rampe n'a pas pour objectif l'éblouissement du spectateur par le trait fin de camera mais plutôt nous adresser de façon artisanale le cheminement chaotique d'un clown à la triste face jusqu'à l'allégorie en forme d'hallali. Lie dans laquelle se vautre cet anti-héros, vilain trépané, pantin désarticulé, marionnette sordide en passe de devenir une figure emblématique, symbole de l'opprimé fédérateur.
Le malaise qui nait et grossit au fur et à mesure d'un trajet descendant prend sa source dans le mal-être qui traverse notre société. Les grincements de dents deviennent hurlements. On s'irrite sur son siège, on s'agace chaque fois que l'hystérie monte d'un cran, et l'imminence du crescendo n'est retardée que par une longue quête dépressive d'identité. Plan après plan, ce qui pouvait trouver un vernis comique craque à mesure que ce guignol rit de plus en plus fort, de plus en plus jaune.
Joker, interdit au jeune public et pour cause, est furieusement d'actualité. Il fait écho aux samedis de ronds-points bloqués et de chasubles fluorescents, à cette colère éruptive qui envahit les boulevards haussmanniens dont la création, justement, devait répondre à la répression de ce type de manifestations bouillonnantes.
Alors, quand la revanche de ce magistral paumé ultra-violent trouve son acmé dans le meurtre jouissif surgit de la rue la révolte des sans-dents, des sans avenir, des sans-abris, des sans-rien, armée de va-nulle-part lancée à l'assaut des lieux d'abondance. Mais n'est pas Scorsese qui veut. En témoigne le clin d'œil appuyé aux cinéphiles, mise en abîme du propos par la présence surjouée de Robert de Niro, dont le Taxi Driver reste, depuis 1976, la référence du combat des ténèbres intérieures sur fond de justice fanatique dans la ville.
4 commentaires:
Ton commentaire, que j'apprécie comme à l'habitude, me donne à la fois bien l'envie d'aller voir ce film et, en parallèle, celle de l'éviter prudemment.
Pas vu non plus, mais tenté. Question fond crise chômage, financière, au bord de l'effondrement, enfin style collapsologie, je viens juste de voir une série sur C+ : "l'effondrement". Scénario se déroulant en France au bord de l'effondrement de la société et
menacée par les pénuries énergétiques et alimentaires, des gens cherchent à fuir le pays, tandis que d'autres tentent de survivre. Chacun dévoile sa vraie nature devant l'urgence et des disparités ressurgissent pour tenter de sauver les siens et d'éviter une catastrophe pourtant inévitable. Le rythme est crescendo où la tension et le sentiment d'urgence est extrême. Froid dans le dos si on s'imagine un jour dans cette réalité là, si je peux dire. Et dans mon observation des gens, lorsque je vois certains agissements ou réactions, souvent je me positionne dans ce genre de situation à me demander quels seraient leurs comportements...
André, il faut choisir. Voir ou traduire.
Sergio, tente le coup. Ca le mérite.
Enregistrer un commentaire