mercredi 8 octobre 2008

Histoire d'A.

Ce samedi 6 octobre 2007, il est installé derrière l'en-but français en première période, autant dire qu'il va tout voir du premier essai, celui de McAlister et pourtant ne voit rien. Les yeux embués par les larmes. Quelques heures plus tôt, son épouse lui annoncait qu'elle le quittait pour un autre. Dans son petit carré d'herbe, assis sur sa boîte d'objectifs, il déteste la vie, sa vie, photographe de sports par monts et par maux. Toujours parti, jamais là. Il n'a plus rien à quoi, à qui se rattacher que ce match qui lui parait si étrange, si étranger. Il lance seul un pari fou : si la France emporte ce qu'elle doit perdre à cent contre un, sans aucun doute sa femme lui reviendra un jour prochain. Alors ce quart de finale, forcément, il ne peut pas le voir, le sentir, ni le vivre comme nous. McAlister marque devant lui. Son malheur n'est pas le nôtre. Il pleure. Impossible de distinguer les joueurs. Ils sont flous. Ses yeux ne voient que le gouffre qui s'ouvre devant son coeur. Carter marque au pied. Son désespoir touche le fond d'un abîme. Et soudain l'expulsion, comme le pus sort d'une plaie béante, Beauxis ajoute un but et Dusautoir transperce les All Blacks si gris. Je l'appellerai A. Ses larmes sèchent et rougissent ses paupières. Ce match, pour A., est un acte d'amour, une quête, un message immanent qu'il doit interprêter. Et Jauzion se laisse tomber à ses pieds. De loin il a vu, le premier, Michalak percer. A cet instant précis il s'imagine, A., que sa vie reprendra. Demain, ou plus tard, il ne sait pas. La France mène. Et puis la France va l'emporter. Lui aussi. Quelque part où rêvent d'un amour ceux que la vie laisse, transis.

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Les histoires d'amour finissent mal en générale...Sauf les jours de gloire où sous les toits brûlants, les corps meurtris et conquérants font se rabibocher une âme blessée et sa frangine fugueuse...

Sinon, est-ce qu'ils ont fait un petit pour fêter ça?

Anonyme a dit…

Histoire vraie. Racontée par A. un soir de reportage quelque part en France il n'y a pas si longtemps. Il m'a tordu l'estomac, A. Je n'avais pas ce point de vue du match. Etonnant. Poignant. Aux dernières nouvelles sa femme n'est pas revenue. L'équipe de France n'en est pas revenue elle non plus de ce succès à Cardiff contre les All Blacks. Comme quoi, leurs destins à tous les deux sont liés, non ?
Par ailleurs, "Coeur ovale" est arrivé chez mon libraire préféré, celui de la fontaine aux livres. J'attends "Ruck'n roll" pour effectuer la razzia deux en un. Et t'en parler Pierrot ici même sur comme fou.
Mais avant cela, il me faudra évoquer "Short Stories". J'en suis fan.

Anonyme a dit…

Désolé pour A...Mais comme les victoires pour l'équipe de France, l'amour et la mer reviennent toujours tremper les coeurs et les cales sèchent...

Pour Ruck'n'Roll" des contractions tenaces de l'imprimeur ont repoussé sa naissance à lundi...Encore une fois désolé...

Anonyme a dit…

Zut j'ai oublié!

Les stories du Jeantet un vrai régal...
Pour moi ses nouvelles sont sublimes et dérisoires comme un premier Amour tatouer sur un bras.(juste un petit extrait de mon commentaire...)

Allez je me sauve! Bashung m'attend...

Anonyme a dit…

poignante en effet cette histoire tout sauf anecdotique...surtout pour ce soir où la France marquait nos cœurs meurtris à sa façon d'alors un peu " en rupture"...

Antoine a dit…

Comment ne pas opposer cette rupture irrattrapable, affrontée en solitaire, avec la communion passionnée vécue par les amoureux du rugby. Un soir Janus, un soir en clair-obscur.
Un soir en noir.
Un soir en bleu.

Anonyme a dit…

Un ami me faisait remarquer, il n'y a pas si longtemps, ce soir même il me semble, que "comme fou" réunissait un heureux quarteron de belles plumes. Effectivement, quand je vous lis, je me dis qu'il n'a pas tort... L'art de la césure, l'alexandrin à la relance, la feinte de texte... Un florilège de "geste" sémantique.
Quant à l'histoire, vraie, pour sûr, vous me croyez, je vous tiendrais au courant de sa suite le jour où... Reviendra-t-elle ?
Mais d'imaginer A. faire le métier, détruit de l'intérieur, dans un cadre aussi grandiose, dans une ambiance de folie, au coeur d'un match tellement intense qu'il va en devenir historique et s'accrocher à la victoire probable ou/et possible comme à une bouée pour ne pas sombrer... J'avoue que ça met de la perspective à vous en donner le vertige.
Tenez, c'est le cas type de la nouvelle à Jeantet, ça... Le genre en profondeur qu'il vous traite en trois pages, le gonze, trois pages qui vous font une vie.
On en parlera bientôt ici. Promis.

Anonyme a dit…

Merde j'ai confondu "les cales" avec mes draps...Mes draps sèchent et les "cales sèches".
J'avais déjà Bashung dans la tête...Un spectacle superbe! et le Bash' le crabe suspendu au dessus de sa tête...droit debout, sa voix et ses mots qui te rentrent dans les tripes! T'as l'impression qu'il est face aux blacks un fameux soir d'octobre...
Grandiose!

Seb en Ovalie... a dit…

Déchirant.Telle Mathilde espérant de retrouver l'Amour Manech,notre photographe A.Après cette nouvelle brutale et désarmante de désespoir,lance un s-o-s irrationnel en terre étrangère (comme seul l'amour nous rend capable),à nos coqs bleu pétrole.Dont nous pensons,qu'eux aussi,resteront sur le bord de la route de "leur" coupe du monde à l'issu de ce combat.Son carré d'herbe comme seule planche de salut,et,cet objectif fou en tête,sans négatif possible!Médusé,broyé,alors que sous ses yeux se déroule une "guerre" de tranchée intense,où les français courbent l'échine comme lui,puis font front,plus que lui,avant...L'espoir.Rennaissant,dans cette folle attaque première main et cette romantique course de Michalak,le poète,donnant l'offrande à Jauzion qui applatit pour mieux ranimer sa flamme,et nous,nous faire chavirer de bonheur tout autour de lui.Le film de sa vie amoureuse dans ce match.Un pack d'émotions exarcerbées,un alignement de chocs affectifs,de traumatismes à chaque impact,de secousses all blacks ventriculaires,de serrements de coeurs entremélés,durant ce tourbillon rugbystique,ça tourne ovale dans son âme.Un très long soir de fiançailles en tricolore,noir,gris,et ce bleu horizon qui vient,quelque peu,éclaircir sa nuit.L'histoire de A à Cardiff,de l'âbime au paradis de l'impossible.Poignant.

Anonyme a dit…

Bashung, Higelin, Daho... et plein d'autres. J'avoue que dans ce domaine, je suis plutôt classique. Vian, Ferré... Mais Bashung reste, à mes yeux, une sorte de Gainsbarre actuel, poète déjanté à la Rimbaud qu'aurait pris des musiciens avec lui dans ses délires et ses marches, trouvé l'accord sur la rime. Le crabe au-dessus de la tête, ça doit effectivement donner la chair de poule, mais il était déjà bon avant cela, l'Alain.
Fut une époque où j'étais dehors en concert presque deux fois par semaine. Ca a bien changé. Vie de famille, obligations pro, écriture bla bla bla... Mais en fait, la vraie raison, c'est que je n'aime pas vivre mes vibrations musicales en groupe, entouré d'une foule. La musique (jazz, classique, rock, etc...) est une plongée intime, une résonnance que je ne peux savourer que seul...

Anonyme a dit…

J'arrive en décalage sur l'intervention de Séb. Lyrique le Seb. Inspiré. Maniant la métaphore et le parallèle. On voit bien qu'il est de repos. Les films attendront, hein ? Ben oui, l'histoire d'A. recèle beaucoup de trésors dans sa profondeur. Il fait écho en chacun d'entre nous. A comme amour, sans doute. Notre plus grande sphère. maintenant que vous lirez ou penserez à ce match, il y a aura A. en contrepoint, en contrechant. Comme un poison insidieux. Mais un poison vital. Et nous serons quelques uns à savoir que ce soir-là, il y avait certaines larmes de joie

Anonyme a dit…

hum...aparté en import fugace parce que...Le dernier Bashung est grand, un travail d'écriture lumineux,morceaux et textes surtout, élaborés autour, par et avec de nouveaux venus dans l'univers du Bash, même si je continue à préférer ce que lui écrivait Jean Fauque...mais tout à fait du même avis que vous concernant les lives...trop de "pollutions" extérieures nuisent à cette rétrospective émotionnelle qui font le sel de toute introspection musicale...de toute façon ( et juste m'excuser à l'avance pour le mauvais jeu de mot à suivre...) la musique en public, Gould avait sur la question un avis assez tranché, bien destroncheur, la musique en live peut provoquer des concerts de la gorge...

Anonyme a dit…

Oui mais hier soir rien ne gênait...Il y avait bien sûr un belle ferveur mais toute retenue... Comme une sorte de respect pour l'homme debout tenant fort ses cuisses à la seule musculature de sa voix. Spectacle plus musical que le CD, des musicos époustouflants...Et en dernier, le Bashung, tout seul avec sa guitare pour deux ultimes chansons. Le dernier accord tombe, sa guitare aussi...La main sur le coeur:
"Heureux d'avoir passer ce moment avec vous...Faites de beaux rêves!"
Un sourire de ses talons, et le chapeau s'en est allé...

Anonyme a dit…

Ouais, vu comme ça, ça doit brasser le palpitant...

Seb en Ovalie... a dit…

Comme Benoit suis assez d'accord sur la denière livraison du grand Alain le "bleu pétrole" vient s'ajouter à sa collection,"comme un légo" ou un "bijou,bijou" de plus à son oeuvre déjà si conséquente...Et pour les émotions intimes musicales,mes maux et mes larmes sont souvent pudiques..