samedi 18 mai 2019

Quand Audiard traçait l'Europe




Montauban serait-il devenu le centre de l'Europe ? A l'heure où l'avenir de notre communauté menacé par l'extrême-droite passe par les urnes, les dialogues de Michel Audiard livrent étonnement quelques éléments de réflexion qui nous permettent de décrypter l'actualité politique.  Ce même Audiard né en 1920 et décédé en 1985, cycliste amateur et médiocre scribouillard collaborationniste passé après-Guerre à la postérité comme dialoguiste gouailleur de veine célinienne, qui a nourri le langage populaire avec quelques saillies immarcescibles.
En voici quelques-unes. "Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît" ; "On ne devrait jamais quitter Montauban"; "J'vais lui montrer qui c'est Raoul !" ; "Il y a de la pomme" ; "C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases", livrées dans un nanar devenu culte, Les Tontons Flingueurs. Autour d'une histoire de grisbi et de nectar brutal, Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Lefèbvre, Francis Blanche et Robert ("Yes, Sir !") Dalban imagent depuis les conversations, particulièrement au sein de l'Ovalie. Mais pas que.
A quoi tient la célébrité ? Michel Audiard, auteur de ces dialogues picaresques, ne croyait pas à cette scène de cuisine. Heureusement, elle fut maintenue par le réalisateur, Georges Lautner. Deux ans plus tôt, Audiard s'était attelé à un roman de Georges Simenon, Le Président, et avec lui le cinéma de papa (comparé à La Nouvelle Vague) s'est attaqué avec virulence à quelques thèmes qualifiés à l'époque de populistes et qui prennent aujourd'hui, entre manifestations permanentes de gilets jaunes et élections politiques, un éclat furieusement contemporain.
Henri Verneuil tourne avec Jean Gabin en président du Conseil, alias Emile Beaufort, une scène dite du « Discours à l’Assemblée nationale » dont il ne soupçonne pas alors la portée historique. Entre Festival de Cannes et élections européennes, la harangue tenue par l'immense Gabin mérite d'être réentendue. La voici dans ses extraits les plus significatifs : "Pendant toutes ces années de folie collective, je pense avoir vu tout ce qu'un homme peut voir. Des populations jetées sur les routes, des enfants jetés dans la guerre (...) La paix revenue, j'ai visité les mines. J'ai vu la police charger les grévistes, je l'ai vue aussi charger les chômeurs. J'ai vu la richesse de certaines contrées et l'incroyable pauvreté de certaines autres. Et bien durant toutes ces années, je n'ai jamais cessé de penser à l'Europe."
Anarchiste de droite, Michel Audiard au soutien de l'idéal européen et de la première Internationale a de quoi étonner... "Toute le monde parle de l'Europe, écrit-il pour Gabin. Mais c'est sur la manière de faire cette Europe que l'on ne s'entend plus. C'est sur les principes essentiels que l'on s'oppose (...) La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pression, Europe des maîtres de forge et des compagnies pétrolières, cette Europe qui a l'étrange particularité de vouloir se situer au-delà des mers, c'est-à-dire partout sauf en Europe."
Lisez donc la suite : "Les partis ne sont plus que des syndicats d'intérêt (...) Je vous reproche simplement, lance Gabin à un député, de vous être fait élire sur une liste de gauche et de ne soutenir que des projets d'inspiration patronale (...) La politique devrait être une vocation mais pour le plus grand nombre, elle est un métier. Qui ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient et qui nécessite de grosses mises de fond. Une campagne électorales coûte cher. Et pour certaines grosses sociétés, c'est un placement amortissable en quatre ans. Et pour peu que le protégé se hisse à la présidence (...) alors là le placement devient inespéré." Furieusement d'actualité, vous dis-je.

4 commentaires:

André Boeuf a dit…

C'est un beau résumé de la situation auquel j'adhère sans réserve. On pourrait dire que l'histoire est un éternel recommencement et que c'est, en ce sens, la raison d'être d'étudier le passé. C'est-à-dire d'avoir la possibilité d'éviter de renouveler certaines erreurs. Cependant, l'homme étant, lui même en éternelles naissance, mort et renaissance, il a tendance à repartir, sinon de zéro, du moins sur des bases qu'il considère comme neuves.
Erreur funeste la plupart du temps. La nature humaine restant systématiquement la même, et cela quelque que soit l'évolution technologique. Le mythe de Sisyphe utilisé dans ta dernière chronique en étant l’archétype.
Je reprendrais avec plaisir, mais pour le rugby ici, la phrase soulignant la passion par rapport à un métier. Mais cela est déjà autre chose.

richard escot a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
richard escot a dit…

Merci André pour ce commentaire éclairant. Je pense que je vais visionner "Le Président" en entier très vite. C'était il y a un plus d'un demi-siècle. J'ai l'impression qu'on parle de Macron et aussi des technocrates de l'Europe qui polluent l'idée d'une Europe culturelle qui pourrait nous lier davantage.

Anonyme a dit…

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