Nos lettres vont me manquer, Michel. J'adressais mon courrier au "Poète", tu glissais "Ecrivain" au-dessus de mon adresse. Tu avais le coup de gueule assuré, le coup de cœur emporté. Et inversement. Tu es parti, hier soir lundi. Tu as mis fin à ce poème qu'était ta vie. Le coup de feu a claqué comme on referme violement une porte sur une pièce éculée, un canapé fatigué, une table trop basse, une lumière de moins en moins claire. A Lamagistère, tu habitais "La maison des oiseaux" sans autre précision et le facteur déposait le courrier dans une boite aux Lettres. Tu étais un fin érudit, Michel, des choses de la poésie. Mais avant d'évoquer la rime, nous avons parlé, lors de notre première rencontre en 2016, de musique. Tu avais rêvé d'une carrière de pianiste mais tu as foncé, enfant, au rugby. "C'était joyeux et gratifiant. On courait dans l'herbe au grand air, on se faisait des passes, on était contents." Un alexandrin. Tu t'imaginais sous les couleurs de Lourdes et t'es retrouvé à Agen.
"Lourdes, j'y serais allé à pied", tu voulais dire à genoux, drôle de pèlerin. Tu étais un prince du petit matin, roi des nuits blanches. "Mes jambes méritaient de jouer, mais pas moi." Rarement joueur fut aussi doué que toi. International et trois fois champion de France (1962, 1965, 1966), protée, polyvalent, buteur aussi. Tu avais mis à ma disposition la plus belle définition du jeu de rugby. Je la garde précieusement et la voici : "Dans le jeu d'équipe, il doit y avoir en permanence cet espoir, qui est de recevoir le ballon."
Comme tous les adolescents au cœur tendre, tes premiers poèmes étaient destinés à séduire. "J'avais des bouffées d'angoisse, un bloc de glace me serrait le coup quand je parlais aux filles. Je bégayais." D'où ce surnom, "Cocoye", qui raconte les syllabes entrechoquées. "Quand je jouais, je buvais. Je me couchais à trois heures, le matin du match. Rien n'était sérieux pour moi. Qu'est-ce qui aurait pu l'être ? Ma seule obsession, c'était la mort. En fait, ce qui était sérieux, c'était l'amour d'une femme. L'espoir. Et puis soudain le désespoir. Malheureux celui qui réfléchit comme ça..."
Tu récitais un de tes vers : « Je voudrais qu’un nuage s’arrête à ma porte et me laisse le temps de m’enfuir avec lui. » Tu es parti, Michel Sitjar. D'un coup. Chez toi, j'ai aimé m'arrêter. Ton café était imbuvable, tu étais souvent de mauvaise humeur, mais qu'importe. Tu avais passé quarante ans à t'arsouiller, disais-tu, et partageais notre heure en compagnie de Baudelaire, de La Fontaine et de Verlaine que tu déclamais. "Je suis passé du verre au vers". Tu riais encore.
"J'attends de crever..." Cette lucidité ne tranchait pas, elle était ton fil conducteur. "J'écris pour me sortir de la bêtise bestiale qui m'entoure." J'entrapercevais tes démons sortir de sous les meubles. "Je n'ai qu'une obsession, c'est la mort. C'est pour ça que je ne crois en rien." Puis cette confidence, qui dit tout : "J'ai été trois fois champion de France et ça ne m'a pas touché."
Tu n'appréciais pas les écrivains, tu leur préférais les poètes. Et les philosophes. Ce qui nous faisait au moins un terrain à partager. "Socrate assurait à ceux qui avaient peur de la mort qu'il fallait aimer la vie. La mort, disait-il, "c'est un risque qui vaut la peine d'être couru." Peut-on savoir si l'âme existe autrement qu'en l'éprouvant ?" Tu parlais de Descartes et de Platon comme de "tes coéquipiers"... Tes lettres me manquent déjà.
15 commentaires:
Beau récit, belle description, bel hommage.
Il ne fait pas bon de s’appeler Michel en ce moment... Mais tous portent des ailes au bout de leur prénom pour voyager loin. Merci Richard pour ce très bel hommage en partage.
C'était quelqun de partulier mais un joueur magnifique et un homme attaché à l' écriture . Bon vers Michel ...
https://youtu.be/MN3x-kAbgFU
Homme mage poète ? En tout cas, homme aussi dur (à ce que j'ai pu entendre dans la bouche de voultains...) sur un terrain que doux couché sur papier. 2 terrains de jeu qui ont à voir quelque part entre les maux et les mots. Après rugby et poésie et rugby et poésie 2e mi temps, l'histoire retiendra qu'il n'a pas souhaité jouer les prolongations.
Cocoye parce que devant les filles.
Etre ou ne paraître : prédestiné...
au milieu d’un profond soupir digne de M. Teste, entendu ce cri de M. Chiche:
« … car on hérite désormais d’élèves qui détruisent leurs propres capacités en passant plusieurs heures par jour les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone, aux aguets de notifications et autres gratifications qui finissent par les rendre, ainsi d’ailleurs que bon nombre d’adultes, débiles étymologiquement parlant. Oui, la langue étant la condition de la pensée, la pauvreté du vocabulaire, mais aussi une syntaxe plus qu’approximative et des solécismes généralisés rendent impossible toute réflexion, ou du moins la compromettent à un tel point que celle-ci se limite à des réflexes conditionnés, des associations d’idées déversées dans un chaos impressionnant, un bavardage d’une confusion extrême où il est en réalité difficile de deviner la trace d’une quelconque pensée ... »
bon, niveau basique genre déconneurs de la 3ème mi-temps niveau exhaustion du penseur, t’auras comme taurine toujours des ersatz de la rosenkreutz autoproclamés pour vérifier façon toubib ou chauffeuse de blog l’expérience de Rosenhan ou le parcours d’Arthur Koestler à l’ombre de la vivisection pour régaler ces eunuques du bulbe écuyers de leur nostalgie comme de leur nosologie d’adoubements de palefreniers,
une petite oraison en toute intimité maintenant loin des merdeux à la mémoire de sieur Sitjar . Qui pouvait rimer, trimer & bien sûr feuler son prusten déjà en d’autres temps avec son coeur de jaguar plutôt façon Billancourt au milieu des ronronnements blafards des Roll’ … mobs perdus non loin dans le bois & la langue pâteuse & souvent pendue qui s’en accommode .
https://youtu.be/3lx3EjE0Trw?t=59
de Klein à Small, comme un vrai souci d’élévation (…) ; un examinateur avisé pourrait essayer de nous convaincre que nous sommes face « à une paire assortie », d’autant que tous les 2 sont officiellement canés d’une crise cardiaque, qu’ils étaient à l’orée de la cinquantaine, qu’il reste même en fin de parcours délicat de prétendre vouloir les grandir (les gandhir ? avé l’accent ), que beaucoup les pleurent, qu’il y en a même un que le charisme de leur œuvre respective inspire, que l’un a seulement vu « Mondo cane» quand l’autre a vécu dedans sans chercher à passer pour autant pour un sous-afrikaner botswanais, …
Reste que si on cherchera en vain du côté de James, pour redorer au rouleau son blouson & ses chaines, une lointaine parenté avec un Félix ruinant la prééminence d’Euclide, une Naomi nettement plus dans l’engagement, un Pierre-Michel pour jankélévitché une « logique de la mort » ou une Mélanie pour l’aider à se positionner, … , ce gars pourra revendiquer s’être fabriqué seul pour aller raffûter plein sud une légende urbaine à la Stoddard comme les idées de ses épigones nauséeux & quelques autres tocards de Peabody à l’ouest sur les chemins de la liberté .
https://youtu.be/oV2Ml2gbSgY
Vous le faites revivre, il était ça et bien davantage. JS
C'est madame sitjar qui vous remercie.
Il m'est arrivé d'aider Michel Sitjar à publier quelques poèmes bien que petit éditeur je n'ai que de faibles moyens pour diffuser de la poésie. En apprenant son décès j'ai décidé en guise d'hommage de rendre accessible son recueil. Je voudrais réaliser un petit ouvrage en son honneur et déjà j'ai un problème, sur Wikipédia il est dit né à Toulouse mais aussi à Castelsagrat. Peuit-être avez-vous des réponses ? amicalement jean paul damaggio
http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2021/01/02/38737315.html
Michel Sitjar est bien né à Castelsagrat (82).
La mère de Michel en était originaire, où sa maman était institutrice.
Cher Jean-Paul,
vous pouvez me contacter sur rescot@lequipe.fr.
Communiquez moi votre 06 de façon à ce que nous puissions échanger.
Cdlt
Ce jour, M. Damaggio, parce que vous m'avez abandonné sur le bord de la route avec dans les bras ce projet d'anthologie des poèmes de Michel Sitjar; sans même daigner me parler de vive voix, au moins par téléphone. Me voilà donc ce jour et pour faire honneur à la mémoire de Michel Sitjar, obligé de reprendre mon baton de pélerin pour aller frapper à la porte d'autres maisons d'édition que la vôtre, tout ça parce qu'au moment d'imprimer cet ouvrage, vous avez eu "peur" de l'ampleur que prenait ce magnifique projet, par la précision et l'exigence qu'il demandait. Après avoir contacté Philippe Sella pour une préface et parce que je ne suis pas homme, moi, à renier ma parole et mes engagements, contrairement à vous, triste sire, je perçois ce qu'il y a de beau et de noble à relancer ce magnifique chantier. Je ne suis pas certain d'y parvenir mais je vais m'y employer, seul mais entouré d'ami(e)s. Sans doute devrais-je vous remercier d'avoir été si lâche car me voilà tenu d'aller puiser au plus profond de ma volonté.
Me voilà arrivé au bout du projet que j'ai repris alors qu'il était tombé au sol. Je peux comprendre "la peur" devant l'ampleur du travail qu'il m'a alors fallu effectuer seul, avec mes petits outils.
Cette anthologie sera imprimée, à mes frais, et il y a déjà plus de cent contributeurs, généreux, pour la plupart internationaux français toutes générations confondues, qui se sont portés au soutien afin que cette anthologie voit le jour.
Belle chaîne de solidarité ovale.
A suivre...
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