samedi 17 avril 2021

Le chant des possibles

Sauf à prendre le temps de s'arrêter pour distinguer de l'intérieur ce qui est en jeu, impossible de mesurer vraiment à quel point, dans le ciel clair des oeuvres d'art, le dialogue à distance - y compris dans l'exiguïté sanitaire - enrichit nos existences. Il en est de même en amitié et c'est joyeusement que j'arpente l'espace consacré par Benoit et Christophe, avec lesquels j'ai eu le bonheur de présenter le Dictionnaire du désir de lire et celui des penseurs, il y a de cela quelques temps déjà. 

Vient de paraître Pieds nus dans la neige aux éditions Mazette, huitième opus de Benoit Jeantet, interaction de longue haleine entre le poète et les lavis de Marc Bergère, tout comme Christophe Schaeffer avait publié en 2018 aux éditions l'Improbable un dialogue pictural et poétique intitulé Au revers de l'abîme avec l'artiste Isabelle Crampe. Deux ouvrages délicats qu'il est agréable de rapprocher, comme au temps tonitruant des Crazy Rucks au bistrot d'Henri, en ce qu'ils font l'un et l'autre naître sur le velin le chant des possibles. 

Ces "bouts d'existence" imbriqués s'inscrivent dans la tradition qui transcenda tant d'oeuvres poétiques à partir du mouvement surréaliste, "artisanat furieux" que scande, par exemple, l'histoire de René Char à laquelle furent associés Salvador Dali, Yves Tanguy, Wassili Kandinsky, Pablo Picasso, Henri Matisse, Fernand Léger, Georges Braque, Joan Miro, Jean Arp, Max Ernst, Alberto Giacometti, et dans cet ordre.

 "Nous sommes lucioles sur la brisure du jour", écrit très tôt le rêveur de la Sorgue. Dans son sillage lumineux, Benoit et Christophe tissent à leur tour des alliances ; ils forgent des mots et invitent l'artiste, puis le lecteur, à créer avec eux un univers fait de sonorités et d'éclats, de frontières à dépasser, de ces sentiments minuscules qui font l'épaisseur d'une existence. "Vivre, ce n'est pas concilier ce que je veux et ce qu'on attend de moi," lance Benoit. "Nous sommes le composé", relance Christophe. 

De Tarbes à Plaisir, du pays de Sault à l'Isle-sur-Sorgue, le trait d'union se prolonge et nous invite à entrer dans l'intimité des artistes, ces ateliers préservés dans lesquels il nous faut tracer des pointillés du talon en découvrant ce que veulent bien nous montrer ces poètes de la discrétion et du fragment en recherche d'enluminures, ce pont sur lequel s'échangent de si belles essences.

5 commentaires:

Serge Eynard "Sergio" a dit…

Mazette,belles encres originales ainsi que la présentation des textes. Sur, que c'est possiblement bien.
Et le style Jeantet, bien sur...
J'en ai encore les pieds tous rouges d'avoir déjà trop marché dans cet opus très frais.
Si le papier est recyclé, tel n'est pas le cas du contenu, toujours plus exotique. Une existence dans la tête sécrétant de la bonne essence bio, minérale, florale, qui t(e)inte (comme on veut), à consommer sans modération, aussi à plusieurs comme un vin
de copains parce que ça rassemble, qu'il y a au fin fonds du rebond ovale... Allez, tchin.

Eric ASM a dit…

Je conseille « comme si le monde flottait » de B. Jeantet, qui déroule multiples souvenirs ovales du dimanche après midi , cimentés de solidarité, de joie et de souffrance... le rugby en somme!

Gariguette a dit…

Bel objet d'art avec ces encres délicates et le texte de Benoit ... ha ha ha "J'ai comme un arrière goût de ferraille dans la bouche . Envie de reprendre un train . Un train de marchandises ." Il manque la typographie et la disposition particulière des mots sur la page, comme en balade, et puis non finalement qui s'alignent puis se défont ... mais bon déjà il y a les trains et chaton et les filles qui font semblant ( même pas vrai ! ) . Bon moi je suis inconditionnelle alors mon avis vous vous en battez les cils probablement ben tant pis je le donne quand même .
Benoit grandit bien . Et même très bien . Quatre mots se courent après et une histoire prend vie ou meurt . Il y a plein de scénarios de films dans ce recueil moi je veux tous les voir avant d'être trop vieille . Tu as du pain sur la planche Benoit !

Gariguette a dit…

Bien évidemment je vais me procurer l'ouvrage de Christophe dès que possible !

richard escot a dit…

Il existe en version luxe livre d'art avec vélin et coffret grand format. une beauté.