Vert pour Macron, bleu clair pour Fillon, bleu foncé pour Le Pen, rouge pour Mélanchon. Cette carte de l'élection au premier tour montre à quel point la France est coupée en deux, ligne de démarcation qui raconte la résistance au fléau populiste en Bretagne, en Normandie, dans le Centre, le Sud-Ouest et les Alpes. Partout ailleurs monte la revendication antisystème.
L'imposante poussée du Front National et des Insoumis, qui sont les pôles extrêmes d'un même rejet de l'hégémonie des grands partis, est nourrie en premier lieu par une défiance vis-à-vis de l'Europe technocratique et administrative qui serait source de tous les maux, de tous les fantasmes déclinistes, de tous les freins au progrès made in France.
Tracez un trait qui va de Caen à Montpellier pour avoir une idée de l'axe autour duquel tourne la vie politique française depuis dimanche dernier. Une immense tâche noire. Un mélanome frontiste. Un pentagone de colère sourde contre tout et tous. Un raz de marée noire, ras-le-bol qui mêle les dégoûts et les couleurs et se montre désormais au grand jour.
Il n'y a plus aucune honte en France à voter pour un parti xénophobe, souverainiste, populiste, aux idées rances ; un parti fondé par d'anciens de l'OAS, fachos, collabos, tortionnaires. Alimenté par l'argent de Moscou et de Bachar, un parti dont le chef bleu Marine est soupçonné d'avoir détourné de l'argent public et sommé par la justice européenne de se présenter devant les juges.
En face de cette peste noire qui gagne du terrain année après année un hologramme, Emmanuel Macron, sorti de nulle part pour sauver le système. Un télé-évangéliste qui harangue sa foule les bras levés au ciel et récolte des dons de droite et de gauche, des ralliements qui vont de François Fillon à Benoît Hamon. Inquiétant, non ? Tous les politiciens qui se sont plantés depuis trente ans appellent donc sans vergogne à voter pour cet avatar.
Et au milieu de ce fatras foutraque émerge le vote blanc. Il ne signifie rien, ne pèse d'aucun poids, n'a aucun sens électoral si ce n'est favoriser le plus faible, le plus petit des candidats, celui arrivé second au premier tour, donc Marine Le Pen, car il réduit d'autant l'écart de la frontiste avec le marcheur en bulletins exprimés. Reste l'abstention, remède pire que le mal tant il montre le peu d'intérêt pour la chose publique.
Pour être vraiment en phase avec leurs convictions, ou plutôt leur absence de conviction, il faudrait alors que ceux qui s'abstiennent de voter s'abstiennent aussi de profiter des avantages en nature de la République, de tout ce que l'Etat et la nation font pour chacun, ces petits détails quotidiens, entre autres les aides de toutes sortes pour les plus démunis, les divers remboursements qui assurent au final du lien social.
Quoi qu'il advienne dimanche soir 7 mai à l'issue d'un deuxième tour qui nous propose de choisir entre deux options sociétales - le chaos ou la prolongation, la bagarre générale ou le temps additionnel - à moins de quitter le stade avant le coup de sifflet final, le match retour promet d'être encore plus tourmenté. Pour gouverner, l'élue du peuple ou celui des rassemblements aura besoin d'une majorité parlementaire.
Et là ce sera encore plus explosif. Ni Le Pen, avec son micro parti, ni Macron avec son mouvement pubère, ne disposent d'assez de personnel susceptible de se présenter aux élections législatives avec des équipes crédibles. Les barons du PS et de LR attendront sagement alignés en ordre de marche pour recueillir ce qu'ils savent attirer, à savoir des votes locaux pour mieux se présenter en force à l'Assemblée Nationale.
La France est ingouvernable. A moins d'en appeler au passé récent. Un candidat à la présidence de la République disait naguère : "Je gouverne et gouvernerai la France au centre. Pour certains, le centrisme est un marais, un point de convergence des opportunistes. Nous pensons au contraire que le centrisme exprime une certaine manière d'aborder les problèmes, caractérisée par le refus des extrêmes et le choix délibéré de l'action."
Cet homme qui a donné ses lettres au centre se nomme Valéry Giscard d'Estaing, locataire de l'Elysée entre 1974 et 1981... Sacré retour en arrière, non ? Emmanuel Macron épouse en creux sa vision. Rien de bien nouveau. Nous l'avons déjà écrit ici et c'est encore furieusement d'actualité, malheureusement : "Il faut que tout change pour que rien ne change." Ce à quoi, nous indique Juanito, Simon Wiesenthal réplique : "Pour que le mal prospère, il suffit que les hommes bons ne fassent rien."
15 commentaires:
Juanito c'est à toi...
Ah Paterson !
Je n'ai pu le voir au cinéma faute de temps...
Ce sera mon premier achat en blu ray dès que...
Quant à la Ve c'est effectivement le sujet de ma chronique
Bien vu Zarma
Again
Qui peut porter la VIe ?
That is the question
Idem que sur "Côté Ouvert" à propos de Bruno Muel...Il me semble que le sujet tombe fort à propos.
Ce que je craignais s'est déroulé mercredi soir. Un débat telévisé entre les deux concurrents à la présidentielle d'une pauvreté intellectuelle crasse, indigne de la plus haute responsabilité. La nullité absolue. Encore que le pire soit à venir. Je ne parle pas de Le Pen président, ça c'est hors de question. Mais Macron à l'Elysée, sans parti, sans majorité parlementaire, ça va être infernal et suicidaire. La Ve République a vécu, nous en avons la certitude depuis mercredi soir. Que nous faut-il d'autre pour s'en persuader ?
Le Pen c'est la peste mais Macron c'est la prolongation. D'une classe politique qui nous fait plonger chaque année davantage dans un gouffre. Il fédère tous les professionnels de la politique, dont les idées se situent dans un spectre qui va de celles de Fillon, soit la droite extrême, à celles de Hamon, frondeur socialiste. Et ce avant même la création d'un soit disant front républicain (rien à voir avec celui de 2002) qui n'est en fait que l'urgence pour un personnel politique de continuer à exercer son pouvoir comme on vit d'une rente. Et nous les payons avec un bulletin de vote, une fois tous les cinq ans.
Je m'interroge.
J'ai compris que j'étais devenue Prafiste - de Praf = plus rien à faire - tant pis vous déciderez sans moi .
A la place j'ai lu "Voyager" de Russell Banks, pas encore fini mais déjà je sais que cette lecture va compter . Notamment les p 135 à 139 ... avec une envolée sur le sort de l'homme comparé au cheminement de la sonde Voyager dans l'espace ; ce qu'elle emportait cette sonde ? "une construction digne de William Blake" bon ben si c'est pas du teasing ça ...
Alors les gesticulations lamentables d'hier soir à côté ...
Pauvre condition
Retrouvé slogan pas troué
Agir pas elire
Pour les reclus
Allez lisez
"Celles et ceux qui feront le lit de Marine Le Pen sont d'abord celles et ceux qui voteront pour elle. Ce sont aussi, et peut-être principalement, celles et ceux qui, dirigeant à un titre ou à un autre notre pays depuis trente-cinq ans, ont ruiné la confiance de leurs électeurs et concitoyens en détruisant, à leur profit, les sécurités sociales et les services publics en pratiquant ou en protégeant le mensonge, la corruption, la grande fraude fiscale et les compromissions politiciennes." (p.57).
Antoine Peillon
"Voter, c'est abdiquer"
Editions Don Quichotte
"Editions Don Quichotte"
Rien de plus logique pour quelqu'un qui charge des moulins à vent (et enfonce des portes ouvertes).
Pipiou, Antoine est un ami. Je pense que ta phrase n'est pas digne. Et ton allusion à Cervantes non plus. Lis l'ouvrage et reviens vers moi.
Zarma, tu as comme moi le Sancho...
Je veux bien concéder une certaine maladresse, au premier sens du terme (c'est mon côté taquin: impossible de résister à l'envie de faire un -plus ou moins- bon mot).
Mais c'est une question de ton: autant je n'apprécie pas que la doxa médiatique et politique cherche à culpabiliser ceux qui votent blanc ou s'abstiennent, autant je n'apprécie pas le regard condescendant envers ceux qui vont voter par conviction, y compris blanc.
Là-aussi le choix des mots et des références n'est pas innocent: "abdiquer", "trahir", "être dupe", autant de jugements d'une valeur morale (je souligne) que je n'accepte pas.
Et je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a surtout là l'expression inconsciente d'un "confort" intellectuel que l'on peut encore se permettre, ici et maintenant.
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