samedi 3 novembre 2018

Que nul ne l’abîme

Peut-on tout dire ? Les semaines d'actualité replacent cette interrogation sur le devant de l'ascèse. On ne peut pas se taire devant tant d'outrance, d'hostilité et de rancœur délayées ici et là, y compris sur ce blog et de façon anonyme. La rhétorique ne permet pas tout. Refuser la bien-pensance est une option salutaire mais marcher dedans au motif qu'il faut absolument dire ce que l'on pense bascule le meilleur dans le pire.

A ceux qui s'autorisent tout je préfère ceux qui pensent ce qu'ils disent, au sens de prendre le temps de mouliner leurs sentiments pour mieux façonner des idées sans prendre les mots en otages. Il n'y a de liberté d'expression que parce qu'il y a liberté de pensée. Et cette liberté ne peut s'exprimer qu'à l'intérieur d'un cadre, lequel est dessiné dans l'espace de connaissances que nous sommes capables d'embrasser, d'envelopper et d'explorer.

Le mot en objet vibratoire. Il y a deux mois sortait d'une imprimerie brestoise le dernier opus de notre ami Christophe Schaeffer intitulé «Au revers de l'Abîme»*, dialogue artistique entre une peintre et un poète qui relie abstraction et métaphysique. Ouvrage lui-même œuvre d'art par sa forme et son volume au cœur duquel s'ouvrent cinquante pages grammées, travaillées à Castres, Pézenas et Bram, places ovales.

pas de majuscule ni ponctuation. Alors ainsi libéré de carcans le texte en quelques lettres associées devient simple mot puis rapidement le mot devient imaginaire, l'imaginaire voyage, le voyage abandon, l'abandon propice à rejoindre l'en-soi. «l'errance du regard dans la texture de l'épure» écrit Christophe en regard d'un tableau. «cri inarticulé de lumière en l'être-noir», inscrit-il ailleurs, frontispice d'une œuvre dichotomique d'Isabelle Crampe, tarbaise d'inspiration klimtienne.

Il me faudra encore du temps pour plonger dans cet abîme en saisir pleinement le revers. Tout y est subtil qui convoque au calme. La beauté, promenade intérieure, offre à saisir l'ailleurs éparpillé, à rassembler ce que l'on croyait vide, à dépasser certaines de nos frontières. C'est aussi le principe du dialogue. Ici, si l'on y parvient, il se noue à trois, Isabelle, Christophe et leur lecteur-invité.

L'occasion d'explorer «le dessin du silence» et «la face sombre des lueurs clandestines». L'association du peintre et du poète est éminemment sensuelle en ce qu'elle entrelace la matière et la rupture, ce qu'il y a dessus et dessous, accords et dissonances, peau puis chair, nous et je, le sillon et l'étoile, cela tracé. Si vous pouvez en profiter surtout ne pas hésiter. Cette édition est illimitée.

*Au revers de l'abîme. Christophe Schaeffer, Isabelle Crampe (Les Editions de l'improbable). www.levaisseauimprobable.fr

1 commentaire:

André Boeuf a dit…

Je n'ai pas encore acheté le livre, mais je l'ai vu. Et j'ai beaucoup apprécié la plaquette envoyée par les "Éditions de l'improbable". Les peintures qui s'y trouvent sont splendides.
C'est drôle que tu parles de Pézenas, ville quand même "royale", avec le passage de Molière, les chansons de Bobby Lapointe et, plus particulièrement, pour le domaine qui nous intéresse ici, les éditions Edmond Charlot.