vendredi 20 mars 2020

Quarantaine

Le temps offert par défaut mérite d'être occupé, et quoi de plus instructif que d'isoler quelques longs métrages qui développent l'art narratif de la pandémie dans ce qu'elle a de plus terrifiant mais aussi de plus instructif ? Ainsi, à l'image de la relecture de La Peste, chef d'œuvre prémonitoire d'Albert Camus construit sur le socle des maladies génocidaires qui infectèrent puis dévastèrent l'Europe, Phénomènes (2008) et Contagion (2011) raclent nos angoisses. 
L'un étire avec force contre-champ la métaphore jusqu'à la crispation, M. Night Shyamalan, et l'autre, Steven Soderbergh, déroule à rebours l'enquête jusqu'à l'évidence. Revoir dans le contexte actuel ces deux œuvres qui n'ont rien de majeures leur donne - rien de surprenant - un relief qu'il était difficile d'imaginer à l'époque où l'expansion soudaine et mortelle d'un virus n'était au mieux qu'une ébauche de scénario pour studios hollywoodiens.
Dans la ouate d'un confinement d'abord prudent devenu assez rapidement coercitif au point de voir nos chemins de traverse interdits par arrêté préfectoral, il n'est pas interdit d'assister, par écran interposé, aux réactions les plus folles qui suivent immanquablement les annonces d'une pandémie qui n'en finit pas de dévaster l'Italie et préfigure le pire en France dans les jours prochains.
Serons-nous les mêmes lorsqu'au retour à la normale qui ne manquera pas de survenir nos pollutions communes - transports saturés, consommation forcenée, promiscuité professionnelle, abrutissement médiatique - s'agripperont à nous ? Serons-nous capables de refuser en toute conscience ce qui naguère nous submergeait et ne suscitait chez nous aucun doute, aucun rejet ? Voilà bien l'enjeu qui s'offre à nous, cette quarantaine passée. 


11 commentaires:

Gariguette a dit…

Oui on pensait relire Shakespeare, Mallarmé ou Spinoza et on se retrouve devant des séries médiocres et des films de 2de zone : c'est un peu normal de chercher l'évasion quand on est confiné . Relu un bout du "Hussard sur le toit" de Giono que j'adore et j'ai laissé tomber : trop proche de notre réalité .J'avais bien aimé "Je suis une légende" avec Will Smith, jamais je n'aurais imaginé me retrouver seule dans ma ville comme lui - bon ok y'a pas de zombies mais ce silence !!! -
Moi c'est les documentaires animaliers ma drogue actuelle . Juste pour la beauté des animaux et des paysages . J'ai quand même la chance de vivre à la campagne et je peux vous dire que ça change déjà, la faune s'est aperçue très vite que nous les hommes avions une nouvelle lubie : l'enfermement volontaire . Ca les arrange bien . J'avais déjà vu des piverts, des chouettes, des faisans, des lièvres, des chevreuils s'aventurer dans le champ derrière chez moi "AVANT" mais là c'est devenu quotidien . Ils reviennent fort ! Bref, Venise a déjà récupéré des eaux propres - en 2 semaines ! L'air est moins pollué c'est bête, on ne doit pas sortir .
Je n'arrive pas - pas encore- à me projeter dans l'APRES de cette crise ; j'essaie déjà d'apprivoiser cette nouvelle réalité où chaque mouvement est précédé d'un questionnement métaphysique " et ça j'ai encore le droit ? et ça je peux ? où est le gel hydroalcoolique ? " . L'enfer c'est bien les autres ; je confirme . Et cette impression d'attendre Godot ... Pffui ça me remonte dans la gorge tous ces bouquins dont je me régalais autrefois . Surtout la science fiction tiens "Malevil" de Robert Merle, pas un virus mais une explosion nucléaire qui oblige l'humanité à tout revoir de ses schémas . Sont cinglés les écrivains, ils nous font flipper quand il n'y a pas de quoi et quand le gross malheur se pointe, y'a plus personne ! Ou alors ils sont en train d'écrire ?
Sinon "le joueur d'échecs "de Stephan Zweig : " On ne nous faisait rien - on nous laissait seulement en face du néant, car il est notoire qu'aucune chose au monde n'oppresse davantage l'âme humaine."

André Boeuf a dit…

Puisque tu parles de Giono, je te conseille son dernier, non achevé, "L'oiseau bagué". Des nouvelles, dont une se passe là où nous allons régulièrement avec mon ami Jean-Yves faire du vélo, du côté du Ventoux, à Montbrun-les-Bains. Dans les gorges du Toulourenc. Elle s'appelle "Promenade de la mort". C'est extraordinaire et j'ai ressenti, ces derniers jours, en me déplaçant à vélo -ce que je ne peux plus faire- des sensations identiques. Ce n'est pas une maladie, c'est lié à la déclaration de la guerre de 14.
Et puis, puisque tu cites Venise, évidemment, "Mort à Venise" (livre et film)...
Tu vois, Richard, ce Ventoux dont tu parles par ailleurs, toujours là chez moi.

Gariguette a dit…

Merci André, je suis aussi très fan du Ventoux , j'ai passé des vacances vauclusiennes à Orange pendant des années, le Pétrarque dont parle Ritchie sur Côté ouvert, c'est un de mes textes préférés et j'ai passé beaucoup de temps à Fontaine de Vaucluse à regarder travailler les souffleurs de verre et des maîtres artisans qui fabriquent du papier ...et bien sûr à Banon, Le Bleuet !

André Boeuf a dit…

Ce Bleuet où j'ai acheté "L'Oiseau Bagué" il y a quelques années déjà...

André Boeuf a dit…

Dans un autre ordre d'idées, j'ai plaisir à relire certains passages d'Erving Goffman sur la façon d'être en public, les relations et les espaces vitaux et, pratiquement à l'opposé pour ce qui de la démarche, les ouvrages toujours fascinants de Philip K.Dick.

richard escot a dit…

Nous avons ici, et c'est très agréable, de quoi partager des lectures et tenir sans fléchir le confinement pour un magnifique moment de retour en soi. Merci Sylvie, merci André. Sur fond de Mahler. 5eme symphonie. Ce "petit adagio" d'immense profondeur.

André Boeuf a dit…

Dans un autre genre, c'est-à-dire dans l'absolu opposé à notre confinement actuel, donc dans le grouillement de la rue, des rues et de la révolution française, "Les nuits de Paris ou le spectateur nocturne", de Restif de le Bretonne peuvent être (8 volumes...! Mais 5 tomes en édition moderne)) une lecture réjouissante.

richard escot a dit…

Avec de la lecture de cette amplitude, on peut passer deux mois de confinement, non ?

André Boeuf a dit…

C'est un peu l'idée...Mais pas uniquement, quand même.

richard escot a dit…

En tout cas, on en prend le chemin...
Heureusement, j'ai trois bibliothèques à la maison...

André Boeuf a dit…

Attention, quand même, à ne pas devenir "Comme fou" comme le personnage du livre d’Élias Canetti, Peter Kien (relation avec le Yi-King?)de son roman "Auto-da-fé". Par ailleurs, la lecture d’Élias Canetti ne peut qu'être favorable par les temps qui courent...Sa passionnante et enrichissante biographie en particulier...